Je te cherche vieux Rhône : Livre dédié à ses amis de Vernaison, les Pirates du Rhône :« Je dédie ce livre à la mémoire de Paul Beaupoux et de Jo Revolat... de Charles Vachon et à tous les charpentiers de bateaux, à Josiane Olivier et à tous les bateliers meurtris, à René Portier et à tous les sauveteurs de la vallée... » [1]
Bernard Clavel à Lyon, avec en fond le Rhône et l'ancien Hôtel-Dieu
Vernaison, 45 rue du Port Perret : c'est là que Bernard Clavel a résidé pendant plusieurs années, avant de déménager un peu plus tard à la Croix Meunier, s'installant un peu à l'écart de ce village situé au sud de Lyon, peu de temps après son mariage, avec sa famille, sa femme Andrée et bientôt son premier garçon. [2]
Vernaison, c'est un ami de Lons-le-Saunier, le peintre Delbosco qui lui fit connaître ce village situé sur la rive droite du Rhône, ce fleuve qui marqua son enfance et devint pour lui quasiment mythique.
Entre le fleuve et lui, c'est un coup de foudre qu'il avait eu quelques années plus tôt quand il était venu à Lyon
avec son père pour retrouver un camarade qu'il avait connu pendant son
service militaire. La première rencontre, c'est ce fleuve furieux venant
claquer rageusement contre les piles du pont de la Guillotière qui donne accès à la place Bellecour, un beau pont romain en pierre, démoli depuis.
Il y reviendra à l'occasion de visite à sa tante et son oncle qui habitaient non loin de là, sur le cours Gambetta et, plus tard, quand il sera pâtissier au Prince d’Orange.
Il faut dire que le Rhône
n'était pas encore entravé par de nombreux barrages qui allaient peu à
peu le dénaturer. C'était un fleuve vivant, gros lors de la fonte des
neiges, à son étiage à la fin de l'été, avec ses nombreux pêcheurs et
mariniers, les jouteurs qui se mesuraient aux beaux jours le long du
fleuve où beaucoup de villages avaient leur société de joutes et de
sauvetage, surtout entre Lyon et Givors. [3]
La batellerie Les joutes à Serrières-sur-Rhône Quai Jules Roche
Il se servira de cette expérience dans son roman Le tambour du bief, transposée non sur le Rhône mais sur le Doubs. Tout au long de sa carrière d'écrivain, il s'en servira de nouveau dans des romans comme La Révolte à deux sous pour Lyon et Pirates du Rhône, (avec Gilbert le peintre qui lui ressemble) Le Seigneur du fleuve, La Guinguette, Brutus et La Table du roi. [4]
Le
costaud qu'il était avait tout de suite été fasciné par cette vie
foisonnante où l'on se retrouvait dans les bars de marinier et les
guinguettes, adhérant rapidement à la société de sauvetage. Ce passionné
avait découvert une nouvelle passion et un univers où il se sentait
bien. À Vernaison, il s'escrima à représenter toutes les nuances et reflets de l'eau dans sa peinture mais le Rhône ne se laissait pas saisir dans toute sa complexité, changeant et fuyant comme une anguille qui passe entre les mailles de son palette.
« À Vernaison,
a-t-il écrit, se trouvait un atelier où je travaillais le bois. Je
rabotais avec un outil qui me vient de mon père, lequel le tenait de Vincendon... Dans cet atelier, j'ai été heureux. ». [5]
Vernaison La croix du meunier 1951 Entre ciel et terre
Mais
la réalité va le rattraper, il aura bientôt trois garçons à nourrir,il
jonglait entre le travail nécessaire à la subsistance quotidienne et le
temps qu'il consacrait à la peinture puis ensuite à l'écriture. Des
tableaux, il n'en vendait pas, obligé de travailler à Lyon à la Sécurité Société
puis comme rédacteur juridique, cultivant en même temps son jardin. Par
la suite, il deviendra relieur puis en 1958, correcteur au journal Le Progrès la nuit, écrivant le jour.
Une vie intenable qu'il a racontée dans son roman L'ouvrier de la nuit, sous-titré "le malheur d'être écrivain".
Paysage à l'étang, 1948 Coups de soleil sur le Rhône, 1948
Il fit aussi de la radio, écrivaint pièces et adaptations radiophoniques en plus de ses romans. Il rentrait en train à Vernaison, descendant à la petite gare le long du Rhône, complètement épuisé. C'est son ami médecin et écrivain Jean Reverzy, l'auteur de Passages, qui lui fit prendre conscience de son état psycho physiologique (on parlerait aujourd'hui de "burn out") et qu'en 1964, son éditeur, conscient de sa situation, lui alloue une modeste mensualité.
Le Rhône et la Géographie sentimentale de Clavel
« J'ai vécu quinze ans sur les rives du Rhône, a-t-il écrit, partageant l'existence des pirates, des mariniers, des sauveteurs. Avec eux, j'ai appris à aimer le fleuve, et c'est lui qui m'a le premier, donné envie de raconter des histoires. »
Il fait sienne cette citation empruntée à Jean Giono : « Un fleuve est un personnage, avec ses rages et ses amours, sa force, son dieu hasard, ses maladies, sa faim d’aventures. »
Pour lui, ce fleuve est un être vivant, personnage essentiel de certains de ses romans comme Pirates du Rhône, Le Seigneur du fleuve ou La Table du roi. Il le décrit en disant : « je l’ai emporté avec moi, comme j’ai partout emporté la terre de mon Jura natal. » C’est sa fidélité, ce qu’il appelle sa géographie sentimentale.
Pour lui, le Rhône naît à Lyon, « la cité des soies, des patenôtres et des brumes », au pied du pont de La Guillotière, à une époque où les longues rigues
(les files de bateaux) étaient chargées pour la décize (descente du
fleuve). Un temps où le fleuve n’était pas domestiqué avec ses lônes parsemées de vorgines, ces zones faites de terre et d’eau, de buissons, d’une végétation enchevêtrée. [6]
Vernaison près du parc Bernard Clavel : vues sur la lône Jaricot et la lône Ciselande
On y trouvait ses copains du bord de l’eau, « les pirates au visage d’ombre, » Portier pilote et force de la nature, un « Seigneur du fleuve, » Revolat le champion de joutes, les sauveteurs-jouteurs de l’Union marinière ou Beaupoux l’infirmier qui s’occupe aussi des sauveteurs. « Il est des êtres tels qu’il faudrait qu’un romancier fût d’un orgueil dément pour espérer créer plus beau, plus fort, plus éloquent. »
On y trouve aussi mademoiselle Marthouret, pivot de la batellerie à Serrières-sur-Rhône, le musée de la Chapelle des mariniers avec ses croix placées à la proue des bateaux avant l’arrivée de la marine à vapeur, les croix sculptées qu’il évoque à la fin de son roman Brutus. Ce musée, il l’a également beaucoup visité « par le rêve endormi ou éveillé, c’est des milliers de fois que j’ai fait le voyage. »
Serrières-sur-Rhône : Croix des mariniers et Musée des mariniers
Dans sa géographie personnelle, le Rhône est impersonnel, celui qu’il a gardé dans sa tête, celui qui lui a donné l’envie de peindre puis d’écrire, ce qui lui fait dire : « Ce n’est pas uniquement dans le lit qu’ils se sont creusé que coulent les fleuves, c’est en nous. Tout au fond de nous, douloureusement. Merveilleusement. »
Contemplant les dégâts du progrès sur le fleuve et son environnement, il constate que « l’homme est un modeleur de l’univers. » Mais les temps changent et les réhabilitations aideront la vorgine a repousser. Bernard Clavel est déchiré entre les agressions que subit la nature et les avantages du progrès technique. Sans perdre toutefois son optimisme : « Le Rhône, il a sa force en lui, disait son ami Beaupoux. Elle peut dormir des années ou des siècles… mais elle finira toujours par resurgir. »
Notes et références
[1] Album paru sous le titre Le Rhône ou les métamorphoses d’un Dieu, Éditions Hachette Littérature, photos de son fils Yves-André David en 1979, repris sous le titre Je te cherche vieux Rhône, aux Éditions Actes Sud, en 1984
[2] Il écrira sur cette période : « Je
revois mes enfants tout petits, sans gâteries ni vacances de soleil car
nous étions pauvres. Je revoit ma femme tapant le manuscrit sur une
antique machine prêtée par le menuisier du village, mon ami Vachon, qui
croyait en moi. »
[3]
Différence entre méthodes lyonnaise et givordine : lors du croisement
des bateaux, les lyonnais se croisent à gauche tandis que les givordins
se croisent à droite, ceci modifiant sensiblement l'équilibre du jouteur
sur le tabagnon.
[4] On peut également citer pour
Lyon L'Homme du labrador, Le Voyage du père, L'hercule sur la place, Qui
m'importe (tonnerre), pour le Rhône Le cavalier du Baïkal,
[5] Sur Vincendon et le bois, voir ses 2 ouvrages Arbre et Célébration du bois
[6] Clavel
la décrira ainsi :« La vorgine... est cette partie des rives où la
terre et l'eau se mêlent, où poussent les saules têtards, les peupliers,
les ronces, les roseaux, les joncs et bien d'autres plantes. »
Mes fiches Clavel sur Lyon et le Rhône :
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► Clavel et le Rhône -- La vallée de la chimie --
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