Le Seigneur du fleuve est un roman de l'écrivain Bernard Clavel publié en 1972
aux Éditions Robert Laffont. Le Rhône, ce fleuve auprès duquel il a
longtemps vécu, il l'a particulièrement aimé et en a fait le héros de
plusieurs de ses romans, en particulier Le Seigneur du fleuve où il est omniprésent.
À propos du Rhône,
voici ce que nous en dit Bernard Clavel : « J’ai été follement amoureux
du Rhône. J’ai rêvé durant toue mon enfance de navigation et de
bateaux. J’aime la vie dure, le travail manuel, le combat fraternel avec
les éléments naturels. Écrivant cette histoire d’un homme amoureux de
son fleuve et de son métier, n’est-ce pas avant tout un de mes rêves de
toujours que j’ai tenté de vivre ? » 1
Le roman est divisé en 5 parties :
1- les brouillards de l'aube...... 2- Le soleil de midi
3- Au terme de la décize......... 4- Le travail du vent 5- La remonte
Le Rhône à Lyon Fleuve en crue
« Personnages sauvages et rebelles, indépendants mais surtout pleins
d’un orgueil, d’une puissance et d’une fureur inattendus chez ces hommes
du peuple, du travail, et de la terre » : telle est le constat de Maryse Vuillermet sur les personnages des premiers romans de Bernard Clavel, qui se demande « d’où sortent-ils ces Seigneurs du fleuve, ces Pirates du Rhône, cet Hercule sur la place » ? Philibert Merlin est en tout cas un personnage aux valeurs bien ancrées, chevalier du fleuve et de la batellerie.
Personnages à la carrure imposante comme Clavel les aime 2, des forces de la nature, ici les trois mariniers, le patron, son fils et son prouvier Honoré Baudry
ont un physique impressionnant : À 23 ans, Claude Merlin a déjà la
carrure de son père « les mêmes muscles longs, les mêmes poignets à la
peau tendue... les mêmes mains larges et épaisses ». Honoré Baudry
est « large, écrasé,... épais de poitrine, les bras tout en boules avec
des mains courtes, il semble tenir à demi fermée la masse de ses
poings ».
Depuis ce funeste 15 juillet 1783 où Jouffroy d'Abbans réussit à faire naviguer la première machine à vapeur sur la Saône
à Lyon, malgré la fureur et la révolte contre le monstre de fer,
lentement mais sûrement, les choses s'étaient détériorées pour les
mariniers. Avec d'autres rhôdaniens, Barthélemy Thimonnier faisant breveter en 1830 sa machine à coudre et Jacquard
inventant son métier à tisser à cartons perforés, Lyon est vouée au
progrès technique, ogre qui mange l'emploi des canuts, des mariniers qui
sillonnent le Rhône entre Lyon et Beaucaire et de tout un petit peuple
qui en vit. Mais patron Merlin, les problèmes des autres, ça ne
l'intéresse pas, « en 1831, les canuts s'étaient révoltés, il y avait eu
des émeutes... mais lui, est-ce que ça l'avait empêché de continuer son
travail ? » 3
Derrière ce combat entre la vapeur et la batellerie séculaire, entre
tradition et progrès technique, c'est toute une culture, un rapport à
l'homme, qui est en cause, la relation du maître à ses compagnons, celui
qui a réussi, s'est imposé et est reconnu comme tel, face à la relation
plus neutre et plus formelle, moins humaine, entre actionnaires,
donneurs d'ordres et salariés. Le père Surdon avait bien compris
l'enjeu : ce que va tuer la vapeur, « c'est pas tellement les bateaux
tirés par les chevaux, c'est aussi une façon de vivre... De vivre et de
rester son maître. » Claude Merlin voit les choses autrement que son
père : « La vapeur... faut qu'elle améliore le sort des ouvriers. Pas
seulement le sort des patrons. Faut pas que les patrons s'en servent
pour tuer l'ouvrier et le priver de son gagne-pain. »
Bateau à vapeur de 1910 Le Rhône à Beaucaire
Dans ce roman, Bernard Clavel évoque le temps des bateliers
qui se battaient avec le fleuve alors sauvage, vierge des barrages qui
vont peu à peu le dompter et veulent relever le défi des premières
machines à vapeur qui leur font concurrence. L’histoire d’une
corporation séculaire confronté à l'avancée inexorable du progrès
technologique. Depuis plus de vingt ans, régnant sur ses hommes et ses
chevaux, il vit en communion avec le fleuve dont il boit tous les matins
une goulée pour y puiser force et courage. Ce roman est d’abord le
drame d'un grand maître batelier, Philibert Merlin, qui refuse de
s'incliner devant la dictature de la machine, un homme tout en fureur
et en coups de gueule, plein de contradictions : « il était furieux
contre cette colère qu'il continuait pourtant d'alimenter ».
Philibert Merlin, patron-batelier sur le Rhône est un de ces
hommes qui sentent les choses avec son expérience fruit de compétences
lentement intégrées, qui fait corps avec son métier et sait reconnaître
les signes annonciateurs d'une crue du fleuve, est aussi un être entier
prêt à tout sacrifier par amour du métier et par orgueil. Il a humé une
odeur inhabituelle, une odeur de charbon : celle du Triomphant, le
bateau-vapeur concurrent. « On s'apercevait... que la folie des humains
est plus dangereuse que celle qui secoue les éléments parce qu'elle
dure davantage ». La concurrence est rude et le vapeur a déjà 'tué' 43
équipages mais maître Merlin est d'une autre trempe. Mais, au-delà des
bateliers, tout le petit peuple qui vit du fleuve en souffre, pêcheurs,
passeurs, tenanciers, artisans de marine disparaît peu à peu 4.
Les mariniers sont des hommes importants et respectés qui n'ont
jamais connu -et encore moins imaginé- qu'un jour le progrès technique
bouleverserait leur métier et leur vie, pire même, les remettrait en
cause dans leur utilité sociale et leur dignité. Pourtant, le maître
batelier Merlin est un expert dans son domaine : « Le sud a pris tout
doux, observe-t-il, ce qui remue ici c'est une queue de vent. On bien ça
court beaucoup plus haut, et à raz de terre presque rien... L'orage a
dû remonter et crever sur la Saône ». Ce jour-là, l'eau remonte et le
brouillard persiste, Merlin est bien décidé à saisir cet avantage et à
en profiter. Malgré les difficultés, il part, se faisant doubler par le
vapeur, triomphant, qui s'échoue un peu plus bas et demande du secours.
Entre la batellerie et la 'vapeur', c'est maintenant la guerre : pas
question de houer le 'Triomphant' prisonnier d'un banc de galets, la
livraison de la bielle du 'Rhodan' se termine en bagarre générale et en
déroute pour ceux de la vapeur. Patron Merlin a parfaitement réussi sa
décize et en arrivant à Beaucaire,
il est fêté comme un héros. Mais son triomphe sera de courte durée.
Après la sécheresse qui avait retenu 'vapeurs' et rigues -les trains de
bateaux- à Lyon pendant des jours et des jours, les pluies d'automne se
mirent à grossir le fleuve qui promettait cette année 1840 une crue
exceptionnelle. Dans ces conditions, personne ne voudrait prendre le
risque de remonter le Rhône de Beaucaire jusqu'à Lyon. Trop dangereux.
Mais Merlin décide de lancer un défi au vapeur, au fleuve et sans
doute à lui-même : son orgueil, sa fierté de seigneur du fleuve lui
dictent de remonter coûte que coûte, connaître la peur et se risquer
malgré tout. Il s'est séparé de son fils Claude et de son prouvier Tirou, coupables de collusion avec 'la vapeur' et il s'est adjoint un vieux marinier d'expérience le père Surdon,
tout heureux de de joindre à l'expédition. Patron Merlin est d'autant
plus décidé que deux vapeurs, des gros de chez Bonnardel, sont passés
pendant qu'il était à l'arrêt du côté de Vallabrègues. Pour lui, c'est comme une provocation qu'il se doit de relever.
Crue du Rhône à Livron en 1840 Niveau atteint par la Saône à Quincieux en 1840
Cette année-là, contrecoup de la sécheresse, la crue du Rhône fut
exceptionnelle, en pleine ville de Lyon, « le fleuve atteignit jusqu'à
7,37 mètres au-dessus de son étiage. » L'eau ruisselait faisant gonfler
comme jamais la Saône et le Rhône, inondant toute la région et « de
grands lacs traversés de courants se formaient entre les montagnes. Les
pentes étaient des torrents et les plaines étaient des lacs. » Les flots
furieux du Rhône charriant d'énormes débris, des arbres entiers
déracinés, seront fatals au patron Philibert Merlin, seigneur du fleuve,
« déjà le Rhône l'empoigne, le retourne comme un enfant et lui brise la
tête contre le pilier de ce pont où viennent de se fracasser, sans
l'ébranler, toutes les belles barques de sa rigue. »
Notes et références
1
2 Le Rhône ou Les métamorphoses d'un dieu, Bernard Clavel : Le grand Rhône, Rives et lônes, La batellerie, La vie autour du fleuve, La joute, Villes et villages, photos d'Yves André David, éditions Hachette, 126 pages, 1979
* Pirates du Rhône, Récits et essais (Clavel), La Guinguette, Clavel et le Rhône --
<<< Christian Broussas - Merlin - Feyzin, 10/12/2009 - << © • cjb • © >>>
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