J’avais six ans à Hiroshima. 6 août 1945, 8h15
Témoignage de Keiji Nakazawa sur le drame d’Hiroshima, précédé d’un texte de Bernard Clavel, éditions Le Cherche midi, collection Documents, isbn 2-862-74366-6, 140 pages, 1995
Bernard Clavel, "La peur et la honte", pages 7 à 28
« C’est le germe de la guerre qu’il faudrait extraire du cœur des hommes. » Bernard Clavel
Bernard Clavel a tenu à apporter par ce texte sa propre approche, sa propre expérience au récit-témoignage de Keiji Nakazawa, rescapé d’Hiroshima, sur les jours qui ont précédé le largage de la bombe atomique sur Hiroshima et la vie de sa famille dans les mois qui lui ont succédé, en hommage à tous ceux qui ont comme lui combattu pour la paix et en l’occurrence à l’association L’Institut Hiroshima Nagasaki.
La honte est celle qu'il a ressentie un jour de 1944 dans le Jura quand il était rentré dans la Résistance et qu'il assista "au passage à tabac" d'un homme convaincu de trahison, d'avoir "donné" des Résistants aux Allemands. Ce souvenir personnel [1] et L'attaque de Lons-le-Saunier par la Résistance en juin 1944 ont beaucoup marqué Bernard Clavel qui écrivit à ce propos : « À Lons avant de partir, les Allemands avaient incendié tout un quartier. Ils avaient fusillé beaucoup de monde. » [2]
La peur est celle de tous ceux qui sont confrontés à la violence, à la torture, à ces hommes qui tremblaient dans leur tranchée à l'approche de l'assaut, à ces terribles bombardements qui précédaient l'attaque et que Bernard Clavel a vécu à travers le livre de son ami Gabriel Chevallier intitulé justement La Peur qu'il considérait son meilleur ouvrage et l'un des grands témoignages sur cette époque.
« Depuis un demi-siècle, je tremble, écrivait Bernard Clavel en 1995 dans ce texte. Pour ma peau, pour celle de tous les êtres que j’aime. Pour l’humanité en général… » Il ne reste alors qu’une solution : "faire la guerre à la guerre". Seule la peur d’un anéantissement total peut être assez forte pour décider l’homme à se révolter contre cette perspective et exiger un désarmement total et immédiat.
Il a longtemps espérer une prise de conscience, l’étincelle qui forcera le destin pour mener sur le chemin de la fraternité mais peu à peu même les femmes ont rejoint la cohorte des hommes dans meurs folies. [3] Avec des moyens aussi sophistiqués que l’arme atomique, "la der des ders" comme on disait dans les années vingt, sera bien la prochaine fois vraiment la dernière, signant la fin de l’humanité.
Les bons esprits qui espèrent "humaniser la guerre" et définissent des "crimes de guerre" s’illusionnent gravement sur sa nature et veulent ignorer que la guerre a toujours vocation à devenir totale, absolue. L’équilibre de la terreur, défendue par bon nombre de politique, [4] est en réalité une épée de Damoclès, la Camarde qui se dessine dans les volutes d’un champignon atomique.
Si certains acteurs éprouvent des remords comme le physicien Albert Einstein ou Claude Eatherly, l’un des aviateurs d’Hiroshima qui fut interné, [5] d’autres comme le général Tibbets, autre pilote d’Hiroshima, n’ont connu aucun problème de conscience. [6] En matière de guerre, il n’y a guère que des victimes et Claude Eatherly a tenté « de maintenir vivante la conscience, au siècle de la machine. » [7] Ce n’est pas seulement la bombe atomique qu’il faut interdire mais tout ce qui menace l’humanité de destruction. Parfois, quand Bernard Clavel croise un enfant dont il s’imagine qu’il pourrait être dévoré par le feu nucléaire, il pense : « J’ai peur pour lui. J’ai honte pour l’humanité. » [8]
Notes et références
[1] Voir le cycle La Grande Patience, en particulier le troisième tome intitulé Le cœur des vivants et L'Espagnol où il aborde aussi le thème de la torture
[2] Voir son livre de souvenirs Écrit sur la neige et sur la libération de Lons-le-Saunier, voir son dernier roman intitulé Les Grands Malheurs
[3] Il se réfère à cette citation de Romain Rolland, l’un de ses auteurs préférés : « Ces braves gens qui font l’éternité des fléaux criminels… »
[4] Voir la lettre du 21 avril 1987 adressée par Michel Rocard à Bernard Clavel (page 19)
[5] Voir son témoignage dans le livre "Avoir détruit Hiroshima", éditions Robert Rappone, 1962
[6] Voir la version romancée du récit "Pluie noire"de Keiji Nakazawa par Masuji Ibuse parue chez Gallimard et la version cinématographique par Shôhei Imamura en 1989, lente destruction d’une famille par le mal nucléaire après Hiroshima
[7] Voir lettre du philosophe Günther Anders au président Kennedy en 1961
[8] Voir son roman Les Grands malheurs
Bibliographie
* Père Lelong, "Célébration de l’art militaire"
* IHN (Institut Hiroshima Nagasaki), "Hibakusha" (les irradiés)
* Claude Eatherly, Günther Anders, "Avoir détruit Hiroshima", éditions Robert Laffont
* Keiji Nakazawa, "Sous la pluie noire", manga, éditions Manga Pantch, 1967
* Robert Sabatier, "Les années secrètes de la vie d’un homme", éditions Albin Michel
* Kenzaburo Oe, "Cahiers d’Hiroshima", prix Nobel de littérature 1994
* Jean Toulot, "La bombe ou la vie", éditions Fayard
* Keiji Nakazawa, "Guen aux pieds nus", manga en 4 tomes sur sa propre histoire d’irradié d’Hiroshima, éditions Manga Pantch, 1975
<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, Octobre 2013 © • cjb • © >>
Témoignage de Keiji Nakazawa sur le drame d’Hiroshima, précédé d’un texte de Bernard Clavel, éditions Le Cherche midi, collection Documents, isbn 2-862-74366-6, 140 pages, 1995
Bernard Clavel, "La peur et la honte", pages 7 à 28
« C’est le germe de la guerre qu’il faudrait extraire du cœur des hommes. » Bernard Clavel
Bernard Clavel a tenu à apporter par ce texte sa propre approche, sa propre expérience au récit-témoignage de Keiji Nakazawa, rescapé d’Hiroshima, sur les jours qui ont précédé le largage de la bombe atomique sur Hiroshima et la vie de sa famille dans les mois qui lui ont succédé, en hommage à tous ceux qui ont comme lui combattu pour la paix et en l’occurrence à l’association L’Institut Hiroshima Nagasaki.
La honte est celle qu'il a ressentie un jour de 1944 dans le Jura quand il était rentré dans la Résistance et qu'il assista "au passage à tabac" d'un homme convaincu de trahison, d'avoir "donné" des Résistants aux Allemands. Ce souvenir personnel [1] et L'attaque de Lons-le-Saunier par la Résistance en juin 1944 ont beaucoup marqué Bernard Clavel qui écrivit à ce propos : « À Lons avant de partir, les Allemands avaient incendié tout un quartier. Ils avaient fusillé beaucoup de monde. » [2]
La peur est celle de tous ceux qui sont confrontés à la violence, à la torture, à ces hommes qui tremblaient dans leur tranchée à l'approche de l'assaut, à ces terribles bombardements qui précédaient l'attaque et que Bernard Clavel a vécu à travers le livre de son ami Gabriel Chevallier intitulé justement La Peur qu'il considérait son meilleur ouvrage et l'un des grands témoignages sur cette époque.
« Depuis un demi-siècle, je tremble, écrivait Bernard Clavel en 1995 dans ce texte. Pour ma peau, pour celle de tous les êtres que j’aime. Pour l’humanité en général… » Il ne reste alors qu’une solution : "faire la guerre à la guerre". Seule la peur d’un anéantissement total peut être assez forte pour décider l’homme à se révolter contre cette perspective et exiger un désarmement total et immédiat.
Il a longtemps espérer une prise de conscience, l’étincelle qui forcera le destin pour mener sur le chemin de la fraternité mais peu à peu même les femmes ont rejoint la cohorte des hommes dans meurs folies. [3] Avec des moyens aussi sophistiqués que l’arme atomique, "la der des ders" comme on disait dans les années vingt, sera bien la prochaine fois vraiment la dernière, signant la fin de l’humanité.
Les bons esprits qui espèrent "humaniser la guerre" et définissent des "crimes de guerre" s’illusionnent gravement sur sa nature et veulent ignorer que la guerre a toujours vocation à devenir totale, absolue. L’équilibre de la terreur, défendue par bon nombre de politique, [4] est en réalité une épée de Damoclès, la Camarde qui se dessine dans les volutes d’un champignon atomique.
Si certains acteurs éprouvent des remords comme le physicien Albert Einstein ou Claude Eatherly, l’un des aviateurs d’Hiroshima qui fut interné, [5] d’autres comme le général Tibbets, autre pilote d’Hiroshima, n’ont connu aucun problème de conscience. [6] En matière de guerre, il n’y a guère que des victimes et Claude Eatherly a tenté « de maintenir vivante la conscience, au siècle de la machine. » [7] Ce n’est pas seulement la bombe atomique qu’il faut interdire mais tout ce qui menace l’humanité de destruction. Parfois, quand Bernard Clavel croise un enfant dont il s’imagine qu’il pourrait être dévoré par le feu nucléaire, il pense : « J’ai peur pour lui. J’ai honte pour l’humanité. » [8]
Notes et références
[1] Voir le cycle La Grande Patience, en particulier le troisième tome intitulé Le cœur des vivants et L'Espagnol où il aborde aussi le thème de la torture
[2] Voir son livre de souvenirs Écrit sur la neige et sur la libération de Lons-le-Saunier, voir son dernier roman intitulé Les Grands Malheurs
[3] Il se réfère à cette citation de Romain Rolland, l’un de ses auteurs préférés : « Ces braves gens qui font l’éternité des fléaux criminels… »
[4] Voir la lettre du 21 avril 1987 adressée par Michel Rocard à Bernard Clavel (page 19)
[5] Voir son témoignage dans le livre "Avoir détruit Hiroshima", éditions Robert Rappone, 1962
[6] Voir la version romancée du récit "Pluie noire"de Keiji Nakazawa par Masuji Ibuse parue chez Gallimard et la version cinématographique par Shôhei Imamura en 1989, lente destruction d’une famille par le mal nucléaire après Hiroshima
[7] Voir lettre du philosophe Günther Anders au président Kennedy en 1961
[8] Voir son roman Les Grands malheurs
Bibliographie
* Père Lelong, "Célébration de l’art militaire"
* IHN (Institut Hiroshima Nagasaki), "Hibakusha" (les irradiés)
* Claude Eatherly, Günther Anders, "Avoir détruit Hiroshima", éditions Robert Laffont
* Keiji Nakazawa, "Sous la pluie noire", manga, éditions Manga Pantch, 1967
* Robert Sabatier, "Les années secrètes de la vie d’un homme", éditions Albin Michel
* Kenzaburo Oe, "Cahiers d’Hiroshima", prix Nobel de littérature 1994
* Jean Toulot, "La bombe ou la vie", éditions Fayard
* Keiji Nakazawa, "Guen aux pieds nus", manga en 4 tomes sur sa propre histoire d’irradié d’Hiroshima, éditions Manga Pantch, 1975
<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, Octobre 2013 © • cjb • © >>
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