Ces différents articles, après un bref rappel de Michel Ragon, montrent un Bernard Clavel amoureux du Rhône, confronté à la réalité avec L'Espagnol et La fête à Jérôme, à la guerre et ses atrocités avec Le printemps 17 et l'expérience de son ami Joseph Jolinon.
Voir aussi d'autres articles de Bernard Clavel dans Clavel Choix d'articles
1- Bernard Clavel de 1968 à
1975 : par Michel Ragon
Œuvres
complètes, tome III, préface de Michel Ragon, éditions Omnibus, septembre 2004,
isbn 2-258-06593-0
L’année 1968 est un grand cru pour Bernard Clavel, année ou il
est révélé au grand public, année de consécration avec Le grand prix littéraire
de la ville de Paris puis le Prix Goncourt pour son roman Les fruits de l’hiver (dernier
tome de La
Grande patience). En 1970, il retourne dans son Jura natal à Château-Chalon
où dans son nouveau roman Le Seigneur du fleuve, il renoue avec le Rhône,
ce fleuve qu’il aime tant et qui est le vrai héros du roman.
Les années soixante dix vont être marquées par son engagement envers
tous ceux qui souffrent de par le monde, et d’abord les victimes de la violence
et de la guerre. Cet engagement va se traduire par des actions ‘sur le terrain’
avec l’association Terre des hommes puis au Bangladesh où il
criera « sa
rage d’impuissance », il se fait militant pacifiste et
tiers-mondiste avec son ami Louis Lecoin ou combat l’erreur judiciaire
dans l’Affaire
Jean-Marie Deveaux.
Sur le plan littéraire, ce sera son essai Le Massacre des innocents en
1970 et la longue préface au livre de Claude Mossé Mourir
pour Dacca en 1972 où il écrit que « la guerre avilit l’homme ».
Puis ce sera son roman ‘anti militariste’ Le Silence des armes en 1974 suivi de Lettre à un képi blanc l’année
suivante, ainsi que nombre d’articles dans Liberté, la revue pacifiste de Louis
Lecoin.
Bernard Clavel, à l’instar de ses aînés Zola, Hugo ou
Voltaire, pose sa plume pour brandir l’étendard de la justice et de la
paix car écrit Bernard Clavel « le plus
grand malheur du monde vient de ce que le pouvoir se trouve entre les mains de
quelques individus qui se sont prostitués pour l’obtenir et que seuls
intéressent ce pouvoir et l’argent qu’il procure ».
2- LE RHÔNE : allocution prononcée au Congrès des libraires – Œuvres
complètes, tome I, pages 1211-1214, Éditions Omnibus
La relation
entre le Rhône et Bernard Clavel a vraiment été charnelle. Il le
répète sans ambages dans ce texte : « Durant les années que j’ai
vécues au bord du Rhône sauvage, à traîner mes bottes sur les
enrochements et dans les "vorgines", j’ai senti à quel point ce
fleuve est un personnage envoûtant et terrifiant ».
Sa
fascination pour ce fleuve, perfectionniste qui cherche à rendre dans sa
peinture les mille reflets changeants de l’eau et n’y parvient pas, pour
réussir il va se tourner vers l’écriture. Il déplore un fleuve domestiqué par
les barrages et l’endiguement, un paysage défiguré, le temps disparu de la
batellerie et des grandes foires, époque qu’on ne trouve guère qu’au musée de Serrière-sur-Rhône.
Mais en
même temps, il affiche un grand optimisme pour l’avenir, le fleuve
s’appropriant peu à peu les digues et les enrochements qui ont été édifiés. Se
dessine ainsi un nouveau paysage, une nouvelle configuration « où chaque soubresaut de son combat avec l’homme
s’inscrivait comme les rides qui font toute la noblesse des visages des vieux
paysans ». Il
prévoit que dans une vingtaine d’années le Rhône « aura fait de la gangue
de ciment où l’on veut l’emprisonner une demeure qui lui appartiendra ».
3- MON AMI L’ESPAGNOL : article paru dans Les Lettres françaises et dans Les œuvres
complètes, tome I, pages 1215-1223, Éditions Omnibus
La réalité et la fiction se rejoignent dans ce récit où Bernard
Clavel est confronté au vrai personnage de Pablo, le héros de son
roman L’Espagnol. L’homme ressemble à son souvenir mais son histoire est
bien plus noire, son destin plus tragique que Bernard Clavel n’aurait pu
l’imaginer. Il pense que la vie de ses personnages est bien souvent moins
cruelle et douloureuse qu’une réalité qu’il avait tendance à édulcorer dans ses
romans. Á ce propos, il écrira aussi dans Œuvres
complètes, tome I : « Je ne
crois pas avoir jamais créé un personnage de toutes pièces. Et je me demande
pourquoi je me donnerais ce mal, pourquoi je prendrais ce risque, pourquoi je
tenterais de me hisser au niveau des dieux alors que le monde grouille de
sujets, d’êtres qui sont des personnages. »
L’Espagnol
vient de mourir, c’est la raison de cet article : sa façon de lui rendre
un dernier hommage et de consigner son émotion. Un jour, l’Espagnol est arrivé à l’improviste chez lui à Lyon où il
habitait alors et lui a raconté son histoire.
Et cette
histoire est digne d’un mélo : Après une grave maladie et une longue
hospitalisation, il est spolié par des gens qu’il croyait ses amis et en qui il
avait mis toute sa confiance. Il se retrouve démuni, sans rien, repart en Espagne
à 54 ans, où il est exploité et galère pour gagner maigrement sa vie. Mais
cette terre où il a tant sué lui manque, il veut absolument revoir ce petit coin de terre du Jura qu’il considère
comme sa patrie. Á force de volonté, il
réussit à payer son voyage, revoie ses spoliateurs, apeurés par son retour et
ses réactions éventuelles. Mais il est étranger à toute vengeance, écœuré par
leur sordide avarice et le souvenir de l’exploitation et des rebuffades qu’on
lui a fait subir.
Il est
reparti en Espagne, toujours aussi miséreux et désespéré. Avec Bernard
Clavel, ils se sont écrits et l’Espagnol lui disait : « Ton livre est fini et le mien continue ». Pour Clavel, cette
rencontre fut à la fois une expérience humaine riche et douloureuse d’un homme
au destin tragique qui malgré tout conserva intactes ses qualités humaines et
une expérience littéraire qui lui permit de mieux cerner ses personnages
de roman « dans leur structure et
leur substance ».
4- La fête à Jérôme : Un pirate du Rhône
Texte paru
dans L’Humanité du 17 septembre 1967
Œuvres
complètes, tome II, pages 1161-1169, Éditions Omnibus
Bernard
Clavel rend ici hommage à son ami Jérôme, l’un des Pirates du Rhône
qu’il a bien connus à Vernaison. De façon impromptue, il le retrouve
dans la région parisienne où se déroule la fête de l’Humanité. C’est la
première fois qu’il quitte des yeux son Rhône bienaimé. Ces pirates qui
habitent le long du fleuve en aval de Lyon, pêche la nuit avec un filet,
ce qui est doublement interdit. Partir pour cette fête, c’est pour lui, un long
voyage plein de découvertes et d’imprévus.
Il veut
tout voir pour tout raconter à son ami Félix, son conscrit qui a perdu ses deux
jambes au Chemin des dames. Félix qui lui a
dit : « Jérôme, tu vas y aller
et tu me raconteras. » Lui aussi a fait cette guerre et depuis il ne faut plus lui parler
de la violence et de l’armée. Il signe bien sûr la pétition contre le carnage
au Vietnam. Puis il s’arrête devant un stand qui expose des dessins qui
s’appellent Treblinka, Napalm… des
images qui lui remuent les tripes, admirant l’artiste qui réussit à faire
partager ainsi son émotion.
Heureusement,
à la fête abonde une jeunesse pleine d’entrain et d’enthousiasme. S’il hait la
guerre, il aime les hommes : aucun désir de vengeance chez lui, seulement
quelques farces et moqueries ironiques. Pour le retour, repasser par Paris ne
l’intéresse plus. Il veut seulement voir la gare de l’Est où partaient les bidasses
pour le front et où est parti Félix en 1916. Pour Jérôme, l’année 1917
n’est pas synonyme de Révolution
d’octobre mais lui
rappelle les mutineries réprimées, provoquées pour éviter toute fraternisation.
Oui, « fraternisation dit-il, ce mot les a effrayés. C’était le socialisme sur toute
l’Europe… »
Son visage
devient grave quand il songe à cette occasion manquée et il ajoute avec une
émotion contenue : « Vous,
vous avez votre avenir à préparer…
Tachez de ne pas rater la paix… »
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5- Le printemps 17 : des
fusillés pour l’exemple article de Bernard Clavel, Œuvres
complètes, tome III, pages 967-973, Éditions Omnibus
Ce sont les
témoignages d’un avocat maître Victor Bataille, sergent puis officier,
et de son ami l’écrivain Joseph Jolinon, qui ont connu le Chemin des dames, que nous propose Bernard Clavel.
Un
après-midi du mois de mai 1917, stupeur et tremblement : le 2ème
bataillon refuse de remonter au front. Deux faits expliquent ce
comportement : l’épuisement physique et moral, l’usure après trois ans de
guerre et de tranchées et surtout le sentiment récent de l’absurdité des
offensives meurtrières à répétition. Les récalcitrants acceptent finalement
d’obéir mais il y eut d’autres cas plus sérieux, des mutineries plus
importantes. Des fusillés, ils furent 22 au total, « presque tous de bons soldats, précise le
lieutenant Victor Bataille, il leur fallait du courage pour se faire le
porte-parole des camarades que l’on sentait à bout de force »…
Joseph
Jolinon,
avocat-soldat qui défendit des mutins devant le conseil de guerre et en fut marqué à vie, raconte son
expérience dans un livre marquant Le valet de gloire. C’est l’offensive Nivelle,
attaque suicide qui coûta 6.000 morts et 30.000 blessés, n’aboutissant à aucun
résultat tangible, qui finit par susciter cette réaction de rejet. Ces
mutineries ont été précédées de nombreuses prémices comme les mutilés
volontaires dès août 1914 et l’année suivante les fraternisations dans les
boues de l’Yser…
Printemps
1917. Ce profond mouvement va concerner 16 corps d’armée, 113 unités
combattantes et des centaines de milliers d’hommes. Mais, fait remarquer Joseph
Jolinon, « toutes les mutineries
ont pris fin dès que les Allemands ont attaqué ». Jolinon, l’ancien soldat
du 370ème, qui y a aussi perdu son frère, est submergé par les
souvenirs de ces temps de misère. Il se souvient du lieutenant-colonel Hieger,
blessé, évacué sur un hôpital, qui s’écrit : « Notre attaque, une boucherie » ! Il se souvient des gars de
son régiment qui se réfugient dans un bois en criant : « Assez de morts inutiles, à bas la guerre… nos
permissions… plus d’attaques… »
D’autres
cas ont lieu vers Soissons où le 29 mai 1917, des régiments tentèrent de
marcher sur Paris. Comme avocat, Jolinon participa au procès des
inculpés de son régiment. Procès expéditif avec 17 condamnés à mort dont un
sera finalement exécuté ; procès bâclé avec le rôle ambigu d’agents de la
Sûreté de l’armée qui fera dire à Joseph Jolinon : « Le commandement voulait crever l’abcès, faire des
exemples. Comme rien ne se décidait vraiment, les mutineries ont été
provoquées. Ensuite, Pétain est arrivé… »
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