Le Royaume du Nord est le titre d'une série romanesque en six volumes que l'écrivain Bernard Clavel écrivit de 1983 à 1989, qui se passent au Canada dans la province du Québec où l'écrivain a résidé avec quelques interruptions entre 1978 et 1988.
A propos du Royaume du nord, Le Parisien libéré écrivait : « Clavel
était le peintre du malheur, celui de la pauvre condition humaine,
paysans, ouvriers et mariniers. Mais il était aussi celui de la noblesse
de l'âme, de la résistance aux coups durs, du grand souffle de l'homme. »
Cette épopée comprend les ouvrages suivants :
- Volume I : Harricana (1983) St-Télesphore été 1978- Morges 7/07/1982
- Volume II : L'or de la terre (1984) Morges août 1984
- Volume III : Miserere (1985) St-Télesphore été 1978- Morges 7/11/1984
- Volume IV : Amarok (1987) St-Télesphore été 1978 - Morges août 1985 - Doon House 01/1986
- Volume V : L'angélus du soir (1988) St-Télesphore été 1978 - Doon House 06/1986-01/1987
- Volume VI : Maudits sauvages (1989) St-Télesphore été 1978- Doon House été 7/07/1988
Tome I Tome II Tome VI
Bernard Clavel nous raconte dans cette suite de six romans l'aventure de pionniers du Canada
qui, à force de volonté, de persévérance, de privation et de douleurs,
ont réussi peu à peu à s'implanter dans cette région peu hospitalière. L'Abitibi, c'est une de ces immenses étendues située quelque part entre Ottawa et la Baie James.
Ils ont participé à la construction du transcanadien, à la ruée vers l'or, ils ont ouvert des chantiers, défriché, arraché les souches pour "faire de la terre",
une terre arable qu'il pourront cultiver. Mais c'était compter sans les
éléments, les fleuves parfois dangereux, les montagnes, tour à tour le
chaud et le froid, les vents violents, les loups menaçants, des éléments
qui inondent leurs terres, la mine d'or, qui détruisent en si peu de
temps ce qu'ils ont mis tant de temps à construire. Il y a beaucoup de
malheurs parmi ces populations qui ne peuvent compter que sur
elles-mêmes et c'est en même temps un beau rêve, un rêve précaire
confronté à la réalité.
Il dit volontiers que son mariage avec la romancière québécoise Josette Pratte a insufflé « à son œuvre une deuxième vie. » et d'abord cette grande fresque romanesque Le Royaume du Nord, inspirée par l'aventure des pionniers canadiens. Il dit aussi dans une interview organisée par son éditeur : « Le Royaume du Nord en
son immensité m'a offert tant d'existences pathétiques qu'il me
faudrait encore des milliers de pages pour conter son histoire... J'ai
des carnets bourrés de visages, de regards, de paroles, de blessures, de
ruptures, de retours et de cris déchirants. [...] Notant ainsi, en
style télégraphique, ce que je tiens à conserver des êtres et de nos
rencontres, je pourrais m'en aller en vivant mon amour sans rien laisser
sur la neige que des traces de pas... »
Cette épopée faite par gens simple commence près du fleuve Harricana pour se terminer longtemps après auprès de ces Maudits sauvages qui finiront eux-aussi par être vaincus. François Nourissier a dit : « En lisant Le Royaume du Nord, on pense souvent à Victor Hugo. » [1]
Clavel, Oeuvres complètes t2
Présentation générale
Harricana - Tome 1
Harricana, nom du premier volume de cette série, c'est un fleuve de cette région quasi désertique l'Abitibi. C'est aussi l'histoire de la famille Robillard,
des pionniers affrontant l'immense toundra traversée de lacs, de
marécages et de forêts, confrontée à de terribles hivers dont ils
n'avaient pas idée, aux trappeurs et aux indiens Algonquins.
Alban et Catherine Robillard, couple venu d'Amos, ouvrent un magasin général face au fleuve, opportunité car on va y construire un pont pour la voie ferrée transcanadienne.
C'est aussi l'époque de la construction du transcanadien en 1855 où les
conditions de vie sont aussi difficiles que la précaire existence des
paysans ou celle des Robillard dont le magasin va
disparaître dans un incendie. Dans ces terres vierges, ingrates, ils
devront tout affronter : outre cette terrible nature, une grande
pauvreté, l'incendie de leur échoppe et même la mort d'un enfant.
Harricana,
c'est le fleuve qui conduit toute une famille de pionniers à travers
l'immensité de cette région faite de lacs, de toundra, de marécages et
de forêts. Coupés de leurs racines, les Robillard
découvrent cette terre démesurée qui va devenir la leur, les terribles
hivers canadiens, ces gens si différents, trappeurs, coupeurs de bois et
Indiens Algonquins. Comme tous les pionniers, ils
veulent conquérir ce monde vierge et tisser une autre vie faite de
solidarité, de tolérance et de courage.
L'or de la terre - Tome 2
« Restons
silencieux parmi la paix nocturne : il n'est pas bon d'aller troubler
dans son sommeil la nature, ce dieux féroce et taciturne. » Paul Verlaine (Jadis & naguère), cité par B. Clavel
Avec L'or de la terre, l'auteur nous fait partager une nouvelle "ruée vers l'or". Le mirage de l'or va pousser Maxime Jordan
et quelques prospecteurs vers ce nord mythique où ils rêvent de faire
fortune, qui pousse les hommes toujours plus loin avec traîneaux et
équipages. Ils finissent par atteindre une île, une île mystérieuse
perdue au milieu d'un lac immense, le lac Ouanaka.
Une
espèce de ville va naître avec ses baraques en bois et une faune
attirée par la vie facile, même si elle est rude. C'est une nouvelle
version du far-west où la force brutale fait
office de loi, où les fortunes se font et se défont à une vitesse
record. La nature va finir par prendre sa revanche et faire payer aux
hommes -et plus particulièrement à Maxime Jordan, avide et dure à la besogne- leur soif de l'or. Une fresque splendide et tragique.
Depuis Jack London,
le processus est le même: déforestation exercée par les prospecteurs,
villes champignon pour les chercheurs d'or, argent facile, promiscuité,
violence, intempérance…la fin tragique est la punition infligée par Clavel à ces individus qui violent et détruisent la nature, thème qu'on retrouve dans Maudits sauvages, le dernier volume de la saga.
Miserere - Tome 3
« Les pauvres marchent toujours à l'encontre du vent. » Proverbe
La crise économique de 1929 menace de s'étendre dans ce troisième volet intitulé Miserere. Beaucoup de familles poussées par la misère espèrent trouver dans la province du Nord de meilleures conditions de vie. Parmi elles, la famille Labrèche, le père Cyrille, la mère Elodie et leurs trois enfants Jules, Paul et Clémence, Martin Garneau, Koliare l'Ukrainien et aussi Billon l'ancien maçon ou d'autres familles conduites par l'Abbé Gauzon.
Ils sont partis dans cette aventure pour rejoindre Saint-George d'Harricana,
emmenant des femmes plutôt inquiètes mais fort courageuses, pour fuir
des villes submergées par la crise économique. Mais ils seront vite
déçus, leur nouvelle vie, ils devront la conquérir à la force de leurs
bras, lutter contre cette immense forêt, la neige et la glace, parfois
contre eux-mêmes.
C'est l'histoire de ces hommes et de ces femmes chassés de chez eux par
la crise économique et animés d'une folle espérance qui doivent relever
le défi de vivre et garder leur dignité au milieu d'une nature
particulièrement hostile.
Particulièrement dans ce volume, Clavel
aime insérer de courts "chapitres de respiration" qui suspendent un
temps le fil de l'histoire, évoquant les évolutions sociales qui
caractérisent cette époque de pionniers partis avec un nouvel espoir
comme les Robillard du premier tome ou, comme ici, pour
éviter la misère née de la crise économique. Des chapitres qui
participent aussi malgré tout à la cohérence du récit.
« Une langue juste pour faire vivre un monde d'hommes vrais » a écrit un critique.
« A Florida Cayer, à travers elle, à tous ceux qui m'ont enseigné la terre du Nord pour l'avoir arrosée de sueur et de larmes. » Bernard Clavel
Amarok - Tome 4
Ce volume nous entraîne vers 1940, quelque 30 ans après l'arrivée des Robillard au bord de l'Harricana. Et il va nous emmener aussi "qu'au bout de l'hiver".
Dans Amarok,
les destins s'entrecroisent pour se rejoindre dans une folle épopée que
mèneront les trois personnages de cette histoire jusqu'aux confins de
la banquise. Jusqu'alors, Raoul le vieux trappeur toujours taraudé par l'appel de l'aventure, vivait tranquille avec son fidèle Amarok, chien de traîneau, malamute croisé de loup. Mais un soir, son filleul Timax
commet l'irréparable : lors d'une bagarre, cette force de la nature tue
un policier d'un coup de poing bien asséné. En fait, il s'agit d'un agent de la police militaire chargé de recruter des jeunes pour les envoyer à la guerre.
« S’il
est périlleux de tremper dans une affaire suspecte, il l’est encore
davantage de s’y trouver complice d’un grand : il s’en tire, et vous
laisse payer doublement, pour lui et pour vous » commente l'auteur. Dès lors, ce sera une histoire de fuite et de traque.
Affolé par les conséquences de son acte, il décide de fuir le plus loin possible. Mais Raoul ne peut laisser son filleul partir seul et affronter tous les dangers qu'il va rencontrer dans ces contrées terribles, quand « le vent miaule dans les arbres. Par moments, le gel fait éclater un tronc. On entend jusqu'ici hurler la glace du lac. » Finalement, ils partent tous les deux accompagnés du fidèle Amarok, une épopée qui les conduira à leur perte dans cet extrême nord au climat terrible qui n'est pas vraiment fait pour les hommes.
Un
livre de glace et de neige, de froid extrême contrastant avec la
chaleur humaine qui s'en dégage. Il fallait bien que dans cette saga il y
eût au moins un chien, lui qui les aimait tant et qui en a eu
plusieurs, dont les deux derniers que j'ai eu l'occasion d'apercevoir
quand il habitait avec Josette dans la maison du Chevalet à Courmangoux dans l'Ain.
Amarok le Malamute
L'angélus du soir - Tome 5
« Vous pouvez arracher l'homme du pays mais vous ne pouvez arracher le pays du coeur de l'homme. » John dos Passos
Au Val Cadieu, Koliare l'ukrainien, les Garneau... tout le monde est parti, attirés par le miroir aux alouettes de grandes métropoles. Maintenant, Cyrille Labrèche est seul, avec sa jument Bergère, « qui
s'est avancée lentement derrière lui, vient lui bourrer du nez au
milieu du dos. Cyrille respire profondément. Il se retourne et prend
dans l'arrondi de son bras la grosse gueule grise : Toi, si je t'avais
pas, si je t'avais pas... » Il est le dernier témoin des drames qui se sont déroulés sur les rives glacées de la rivière Harricana
où ne subsistent plus que des villes fantômes. Il fait ce qu'il peut
avec son cheval et ses forces qui déclinent, gardien des terres et
défricheur invétéré.
Il semble que rien ne pourrait venir à bout de cet homme à la volonté
de fer qui maudit tous ceux qui sont partis, qui l'ont abandonné et qui,
pire encore, ont abandonné leur terre. Parfois, il va jusqu'au comptoir
des Robillard à Saint-George et discute avec une Catherine qui vit dans ses souvenirs.
Dans sa fatigue, dans son délire, il les voit tous revenir et dans un ultime moment d'exaltation, il se résout à sonner encore l'angélus du soir au clocher emblématique de Val Cadieu. Mais lui aussi, finalement vaincu, sera obligé de partir, laissant le silence s'installer.
L'Abitibi
Ce volume a un goût de conclusion avec l'échec de Cyrille Labrèche, seul dans son hameau de Val Cadieu. Sa lutte désespérée contre les évolutions inéluctables rappelle d'autres personnages de Clavel, comme ce Seigneur du fleuve qui lutte lui aussi contre la fin annoncée de la batellerie.
Maudits sauvages - Tome 6
« Les
Sauvages ou Indiens seront maintenus dans les terres qu'il habitent,
s'ils veulent y rester. Ils ne pourront estre inquiétés sous quelque
prétexte que ce puisse estre... » Général Ambert, gouverneur du Vaudreuil, capitulation de Montréal, art 40, 1760
Maudits sauvages
le dernier volume de la série, parle de ces maudits indiens, ces
empêcheurs de tourner en rond, propriétaires d'un territoire stérile
dont personne ne voulait mais qui prend soudain de la valeur quand les
blancs s'entêtent à vouloir barrer leurs rivières d'énormes barrages
hydro-électriques pour faire de non moins énormes profits, arrachant aux
rochers l'énorme puissance de leurs eaux tumultueuses. Pourtant,
jusqu'à présent, seuls les castors avaient le droit de dresser des
barrages sur leurs rivières. [2]
Ces gens vont saccager le paysage des indiens comme les chercheurs d'or ont aussi saccagé l'île du lac Ouanaka.
Le territoire de la Baie James devient alors un enjeu économique majeur dans lequel les indiens Wabamahigans
risquent bien d'être broyés et leurs terres noyées sous le lac de
retenue. Les indiens ne sont pas d'accord entre eux. Les plus jeunes
espèrent utiliser la législation des blancs et les rivalités entre
l'État Fédéral et le Québec pour aller en justice. Le chef Mestakoshi
et le conseil des anciens eux qui ont de l'expérience, savent qu'il ne
faut rien attendre de bien des blancs. Alors, le chef abandonne les
avantages consentis par les blancs pour vivre comme ses ancêtres : il
est un symbole de la résistance non-violente (chère à Clavel) au projet de barrage mais ce symbole sera impuissant à modifier le cours des choses.
Dans sa tente traditionnelle, le chef Mestakoshi
ne verra pas ses descendants alignés, parmi d'autres indiens, devant le
magasin général, déchirant toute la journée des billets de bingo. Il ne
vivra pas la disparition d'un monde, d'un peuple sous les coups de
boutoir de la civilisation. Fini l'esprit indien sur cette terre où les
avait conduits la légendaire Tiska à la poursuite d'un loup blanc.
Nouveauté chez Clavel :
les courts chapitres sont complétés par des documents tels que des
extraits, de courriers, d'articles de journaux, de notes de
missionnaires et de décisions de justice. Le choc des cultures jouera en
faveur des Blancs, malgré la non-violence chère à Clavel. Cette histoire rappelle Le Carcajou, autre roman de Clavel
qui reprend la même trame. Beaucoup d’indiens se laisseront "acheter"
par les Blancs et finiront désœuvrés, loin de leurs terres.
A propos de L'or de la terre : interview de Bernard Clavel
Pour être un homme des vieux pays, jamais je n'avais pensé qu'un monde pouvait surgir aussi rapidement pour disparaître aussitôt. Ce monde des aventuriers qui vont arracher son or à la terre n'est pas fait pour des enfants de Marie. Il est dur, impitoyable et j'ai frémi en le décrivant. Voici bientôt six ans que j'y passe le plus clair de mon temps. Et mes personnages, comme leurs modèles, ont souvent payé de leur vie ces lingots dont on sait aujourd'hui qu'ils contribuent à la destruction du monde. »
La fin du Royaume du Nord par Bernard Clavel (extraits)
« A présent que s'achève mon Royaume du Nord, je sens creuser en moi un vide immense. Voyageuse parvenu au terme de sa longue traversée, je me hisse sur la rive péniblement atteinte... J'ai partagé avec eux dix ans de ma vie qui furent lumineuses parce que l'amour s'ouvrait devant moi en même temps que m'était offert une terre et son peuple. [...] il me faut à présent pénétrer une autre univers. »
Notes et références
[1] Pour une analyse contextuelle, voir : Boichat, Bernard Clavel, un homme, une œuvre
[2]
Données historiques basées sur l'ouvrage "Histoire générale du Canada",
s/dir Craig Brown, version française s/dir Pierre-André Linteau,
éditions du Boréal
Bibliographie
- Harricana, Éditions Albin Michel, 02/1983, 284 pages, Éditions Pocket, 20/09/2001, 312 pages
- L'or de la terre, Éditions Albin Michel, 01/1984, 302 pages, Éditions Pochet, 09/2001, 346 pages
- Miserere, Éditions Albin Michel, 11/1985, 291 pages, Éditions J'ai Lu, 02/1989, 316 pages, Éditions Pocket, 10/2001, 280 pages
- Amarok, Éditions Albin Michel, 01/1987, Éditions J'ai Lu, 1990
- L'angélus du soir, Éditions Albin Michel, 01/1988, Éditions Pocket, 11/2001, 248 pages
- Maudits sauvages, Éditions Albin Michel, 10/1989, 291 pages
Josette Pratte lisant Clavel
Voir aussi
- Autres suites romanesques de Clavel : La Grande Patience et Les colonnes du ciel
- Autres fichiers : Clavel, Récits et essais et Le pays dolois
- Autres récits "canadiens" : L'iroquoise, (1979) La bourrelle, (1980), L'homme du Labrador, 1982
* Article mai 2009 -- - A propos du Royaume du Nord --
<<< Christian Broussas – Feyzin, Clavel, RN, 5 août 2012 <<© • cjb • © >>>
"Tombé en amour" avec le Québec grâce à une rencontre généalogique avec les "CADIEUX d'Amérique", je viens de découvrir dans Miserere que j'avais un nom de cheval, et qu'il y avait un village portant mon nom dans l'Abitibi : "Val-Cadieu"...
RépondreSupprimerTrès belle lecture de ce 3ème ouvrage du "Royaume du Nord" de Bernard CLAVEL dont nous avons vu naguère d'autres oeuvres reprises à la TV de l'"Ancienne France".
Toutes mes félicitations et ma reconnaissance pour un pays qui le mérite bien.
Georges CADIEU - Angers (Mains-et-Loire)