mardi 30 septembre 2014

Le Silence des armes

               
« ... le silence qui accompagne cette fuite de la lumière. » Écrit sur la neige

L'écrivain et romancier Bernard Clavel publie successivement au début des années 1970, Le Silence des armes puis deux autres ouvrages, Lettre à un képi blanc, réponse à ses détracteurs, et Le Massacre des innocents, fruit de son combat en faveur des enfants victimes de la guerre ou de mauvais traitements. Ils vont traduire son engagement dans sa lutte contre la violence, la haine et la guerre, lutte qu'il continuera à mener tout au long de sa vie.

Romancier et pacifiste                         Gandhi lors de "la marche du sel"Image illustrative de l'article Le Silence des armes
Il va ainsi concrétiser dans le domaine de l'écriture son admiration pour des hommes comme Gandhi ou Romain Rolland qu'il citera à de nombreuses reprises et dont le nom revient souvent sous sa plume et ce combat qu'il va mener avec des hommes comme Edmond Kaiser le responsable de Terre des Hommes, le père Lelong, pour sauver les enfants martyrs ou menacés de famine, contre la peine de mort et avec son ami Louis Lecoin aux côtés des objecteurs de conscience, Louis Lecoin à propos de qui il a écrit : « Il portait le monde en son cœur et c’est en regardant au-dedans de lui qu’il en avait la vision la plus sensible, la plus chargée d’affection 1 ».



Dans la période 1970-75, Bernard Clavel poursuit son évolution, lui qui avait tant admiré son oncle capitaine dans les bataillons d’Afrique, vers un pacifisme militant qui le mènera à combattre aux côtés des déshérités et à défendre les objecteurs de conscience.
Sur le plan de l'écriture, son engagement va se traduire par la publication de trois ouvrages :
  • Un roman, Le Silence des armes, dénonçant la guerre d’Algérie, la torture et la 'pacification' musclée, à travers la révolte de Jacques Fortier.
    Dans la période 1970-75, Bernard Clavel poursuit son évolution, lui qui avait tant admiré son oncle capitaine dans les bataillons d’Afrique, vers un pacifisme militant qui le mènera à combattre aux côtés des déshérités et à défendre les objecteurs de conscience.

    Sur le plan de l'écriture, son engagement va se traduire par la publication de trois ouvrages :
  • Un roman, Le Silence des armes, dénonçant la guerre d’Algérie, la torture et la 'pacification' musclée, à travers la révolte de Jacques Fortier, un engagé qui refuse de retourner se battre en Algérie ;
  • La publication de ce roman suscite une vive polémique et une réponse d’un caporal de la Légion étrangère, à laquelle Bernard Clavel répondra lui-même dans un livre intitulé Lettre à un képi blanc ;
  • Sa rencontre à Lausanne avec le responsable de l’organisation humanitaire Terre des Hommes et leurs échanges épistolaires que Bernard Clavel transcrira dans un ouvrage intitulé Le Massacre des innocents.
Chacune de ces trois œuvres reprend comme en écho les thèmes qui y sont développés quand, par exemple dans Lettre à un képi blanc, il lance ce cri repris inlassablement dans Le massacre des innocents : « Mais en ce monde, trop d’enfants sont morts que des hommes ont volontairement privé de cette lumière ».

Ses romans les plus récents sont eux-aussi pleins de cet engagement contre la guerre, de Brutus, un roman paru au début des années 2000, qui se passe à une époque où les Romains persécutaient les chrétiens dans tout l’empire, « Les Romains continuent de tuer, de piller et d’incendier […] Alors partout le sang coule, le sang des innocents", jusqu'à Les Grands Malheurs où il stigmatise le massacre des guerres mondiales du XXe siècle et dénonce l'arme nucléaire ».

             
                                                        Giotto Le massacre des innocents

Jacques Fortier et la guerre d'Algérie

De tous les romans que Bernard Clavel a écrits en dénonçant la violence et la guerre, celui-ci est le plus fort, ayant suscité le plus de réactions. Ses détracteurs ne s'y sont pas trompés qui l'ont attaqué avec véhémence, pugnacité à laquelle l'écrivain a répondu avec une grande sérénité dans sa Lettre à un képi blanc.
Ici s'affrontent deux conceptions, deux attitudes devant la vie : celle des 'va-t-en-guerre' à la Déroulède qui prônent la violence ou lui cèdent par faiblesse, celle de ceux qui refusent le recours à toute forme de violence, Romain Rolland et Jean Giono qu'il cite dans son livre ou son ami le pacifiste Louis Lecoin auquel il rend hommage et à qui il dédie son roman.

La mémoire du caporal Jacques Fortier se fige dans les images insoutenables qui le submergent inopinément, quand « un commando... débusquant à coups de bottes et de crosses les habitants. » Son village jurassien lui rappelle « ces villages algériens dont il ne restait sous le soleil que quelques pans de murs noircis. Des ruines. Des ruines recouvrant parfois des cadavres de bêtes, d'hommes, des femmes ou d'enfants. » Las-bas, « un vent fou attisait les incendies, soufflant des villages entiers sur des enfants innocents. » Tous ces enfants dont il évoquera le calvaire dans Le Massacre des innocents. Des images d'une sauvagerie telle que Jacques ne peut se pardonner son aveuglement.

              
Chateau-Chalon où se passe le roman       Reculée de Beaume-les-Messieurs

Ce roman est traversé de lourds silences qui le parcourent, qui donnent toute leur ampleur au vent et à la pluie, à la fureur des éléments qui vaut bien celle des hommes. Au silence des armes répond d'autres silences qui marquent le temps dans ce village du Revermont jurassien près de Lons-le-Saunier, selon les saisons, « ici, c'était toujours le calme et le silence » quand « il y eut un long moment de ce silence tout vivant des mille cris de la terre et du village » avec des pauses troublantes quand « la reculée invisible grondait sourdement avec par intervalles, des silences oppressants. »

Densité du silence quand la voix de sa mère « résonne dans le silence de la cuisine » ou silence ténu, celui de « la respiration des choses endormies. » Jacques se souvenait que « la mémoire des vivants est une plaque sensible », des colères de son père qui voulait « imposer silence aux imbéciles », d'un silence si chargé de secrets.

En tout cas, « entre son orgueil et celui de son père, le silence s'était installé. » Le silence s’oppose ainsi au fracas des armes dominé par cette question obsédante : « Était-il donc nécessaire que chaque génération connût sa guerre pour que les hommes en sentent l’absurdité ? »

           
Image de la guerre d'Algérie en 1960           Gardes mobiles


Résumé et contenu
Après un séjour en Algérie et quelques séquelles de la guerre qui s’y déroule, le caporal Jacques Fortier revient chez lui, dans son Jura natal, pour passer quelques semaines de convalescence. C’est l’enfant prodigue qui revient, celui qui a laissé ses parents, sa terre, et pour cette raison dans le village, on lui en veut, peu semble avoir approuvé son engagement.

Maintenant, tout est à l’abandon, la maison et les vignes, sa mère est morte pendant qu’il était 'là-bas', il se retrouve seul, juste avec son ami Désiré Jaillet et sa femme Yvonne, avec cette maison qu’il a vendue mais dont il ne parvient pas à se détacher. Ce qui le porte, ici, dans le jardin qu’il essarte, arrache les ronciers qui le rongent, dans la maison qu’il aère, dans le souffle du vent qui s’engouffre dans la reculée de 'La Pionnerie', c’est le souvenir de ce père pour qui toute vie était sacrée, même celle d’un petit oiseau comme le traqueur rieur, ce père dont lui, le fils, s’est engagé dans l’armée.
En haut du village sur le plateau, « il retrouvait sa terre. Il en avait conscience… il se sentait fort et lucide comme il ne l’avait jamais été. Aujourd’hui, il était devenu un autre homme. » Jacques nettoyait les extérieurs avec rage et les paroles de son père résonnaient encore dans sa tête quand il disait à son valet : « Ne tue rien. C’est ce qui fait l’équilibre. La terre est vivante, laisse-la vivre, nom de Dieu ! » Mais parfois, surtout sur ces hauteurs, le vent se déchaîne, « à deux reprises, des courants ascendants creusèrent une tranchée aux parois mouvantes… »



Après cette embellie, vint la douche froide, l’hébétude : le notaire avait tout vendu, la maison, les terres, les militaires, les morts de la guerre d’Algérie, tous le pourchassaient sur le plateau balayé par une pluie tenace. En Algérie, il a eu peur, constamment, « peur de la nuit, du grand soleil, peur en convoi, peur en patrouille […] Et ce matin… il se sent soudain libéré de sa peur. De toutes les peurs. »

Il s’est barricadé chez lui, avec ce 'chien rouge' qui le suit partout, décidé à rester là, à ne plus faire la guerre, tour à tour apaisé par les paroles du curé et de plus en plus énervé par les détonations des tirs au pigeon d’argile qui s’élèvent jusque chez lui. Dans l’après-midi, n’y tenant plus, il ressort les armes de son oncle Émile, le militaire de la coloniale, et tire sur les tireurs qui, pris de panique, s’enfuient dans la campagne.

  Sa maison de Château-Chalon

Maintenant, Jacques est seul dans sa maison, barricadé avec ses armes, assiégé par des gendarmes. Il n’a aucune revendication à formuler, rien qu’un immense cri de haine contre la violence et la guerre, l’immense poids à porter de ce passé qui l’étreint. Ils sont tous là à le guetter avec leurs armes mais il le sait, il ira jusqu’au bout. Dans l’esprit de Jacques, tout se mêle, les gendarmes qui le poursuivent et lui tirent dessus, l’Algérie et les embuscades, « il allait du même pas que le cortège des morts. »
Pas plus que le troupeau de jadis dans l’histoire que lui contait son père, il ne se résolut à fuir par le petit chemin de la 'Fontaine aux Daims' et c’est ici dans l’épaisseur de la forêt qu’enfin il rejoignit son père. C’était sa victoire, « ce printemps de douceur plus fort que les saisons de violence et de meurtre. »

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Le Seigneur du fleuve

Le Seigneur du fleuve est un roman de l'écrivain Bernard Clavel publié en 1972 aux Éditions Robert Laffont. Le Rhône, ce fleuve auprès duquel il a longtemps vécu, il l'a particulièrement aimé et en a fait le héros de plusieurs de ses romans, en particulier Le Seigneur du fleuve où il est omniprésent.

À propos du Rhône, voici ce que nous en dit Bernard Clavel : « J’ai été follement amoureux du Rhône. J’ai rêvé durant toue mon enfance de navigation et de bateaux. J’aime la vie dure, le travail manuel, le combat fraternel avec les éléments naturels. Écrivant cette histoire d’un homme amoureux de son fleuve et de son métier, n’est-ce pas avant tout un de mes rêves de toujours que j’ai tenté de vivre ? » 1

Le roman est divisé en 5 parties :
1- les brouillards de l'aube...... 2- Le soleil de midi
3- Au terme de la décize......... 4- Le travail du vent     5- La remonte

    
          Le Rhône à Lyon                       Fleuve en crue


« Personnages sauvages et rebelles, indépendants mais surtout pleins d’un orgueil, d’une puissance et d’une fureur inattendus chez ces hommes du peuple, du travail, et de la terre » : telle est le constat de Maryse Vuillermet sur les personnages des premiers romans de Bernard Clavel, qui se demande « d’où sortent-ils ces Seigneurs du fleuve, ces Pirates du Rhône, cet Hercule sur la place » ? Philibert Merlin est en tout cas un personnage aux valeurs bien ancrées, chevalier du fleuve et de la batellerie.

Personnages à la carrure imposante comme Clavel les aime 2, des forces de la nature, ici les trois mariniers, le patron, son fils et son prouvier Honoré Baudry ont un physique impressionnant : À 23 ans, Claude Merlin a déjà la carrure de son père « les mêmes muscles longs, les mêmes poignets à la peau tendue... les mêmes mains larges et épaisses ». Honoré Baudry est « large, écrasé,... épais de poitrine, les bras tout en boules avec des mains courtes, il semble tenir à demi fermée la masse de ses poings ».



Depuis ce funeste 15 juillet 1783 où Jouffroy d'Abbans réussit à faire naviguer la première machine à vapeur sur la Saône à Lyon, malgré la fureur et la révolte contre le monstre de fer, lentement mais sûrement, les choses s'étaient détériorées pour les mariniers. Avec d'autres rhôdaniens, Barthélemy Thimonnier faisant breveter en 1830 sa machine à coudre et Jacquard inventant son métier à tisser à cartons perforés, Lyon est vouée au progrès technique, ogre qui mange l'emploi des canuts, des mariniers qui sillonnent le Rhône entre Lyon et Beaucaire et de tout un petit peuple qui en vit. Mais patron Merlin, les problèmes des autres, ça ne l'intéresse pas, « en 1831, les canuts s'étaient révoltés, il y avait eu des émeutes... mais lui, est-ce que ça l'avait empêché de continuer son travail ? » 3

Derrière ce combat entre la vapeur et la batellerie séculaire, entre tradition et progrès technique, c'est toute une culture, un rapport à l'homme, qui est en cause, la relation du maître à ses compagnons, celui qui a réussi, s'est imposé et est reconnu comme tel, face à la relation plus neutre et plus formelle, moins humaine, entre actionnaires, donneurs d'ordres et salariés. Le père Surdon avait bien compris l'enjeu : ce que va tuer la vapeur, « c'est pas tellement les bateaux tirés par les chevaux, c'est aussi une façon de vivre... De vivre et de rester son maître. » Claude Merlin voit les choses autrement que son père : « La vapeur... faut qu'elle améliore le sort des ouvriers. Pas seulement le sort des patrons. Faut pas que les patrons s'en servent pour tuer l'ouvrier et le priver de son gagne-pain. »

Bailey Gatzert naviguant sur le Colombia      Pont sur le Rhône entre Beaucaire et Tarascon
Bateau à vapeur de 1910                            Le Rhône à Beaucaire


Dans ce roman, Bernard Clavel évoque le temps des bateliers qui se battaient avec le fleuve alors sauvage, vierge des barrages qui vont peu à peu le dompter et veulent relever le défi des premières machines à vapeur qui leur font concurrence. L’histoire d’une corporation séculaire confronté à l'avancée inexorable du progrès technologique. Depuis plus de vingt ans, régnant sur ses hommes et ses chevaux, il vit en communion avec le fleuve dont il boit tous les matins une goulée pour y puiser force et courage. Ce roman est d’abord le drame d'un grand maître batelier, Philibert Merlin, qui refuse de s'incliner devant la dictature de la machine, un homme tout en fureur et en coups de gueule, plein de contradictions : « il était furieux contre cette colère qu'il continuait pourtant d'alimenter ».

Philibert Merlin, patron-batelier sur le Rhône est un de ces hommes qui sentent les choses avec son expérience fruit de compétences lentement intégrées, qui fait corps avec son métier et sait reconnaître les signes annonciateurs d'une crue du fleuve, est aussi un être entier prêt à tout sacrifier par amour du métier et par orgueil. Il a humé une odeur inhabituelle, une odeur de charbon : celle du Triomphant, le bateau-vapeur concurrent. « On s'apercevait... que la folie des humains est plus dangereuse que celle qui secoue les éléments parce qu'elle dure davantage ». La concurrence est rude et le vapeur a déjà 'tué' 43 équipages mais maître Merlin est d'une autre trempe. Mais, au-delà des bateliers, tout le petit peuple qui vit du fleuve en souffre, pêcheurs, passeurs, tenanciers, artisans de marine disparaît peu à peu 4.

Pont sur le Rhône entre Beaucaire et Tarascon
Le Rhône à Beaucaire

Les mariniers sont des hommes importants et respectés qui n'ont jamais connu -et encore moins imaginé- qu'un jour le progrès technique bouleverserait leur métier et leur vie, pire même, les remettrait en cause dans leur utilité sociale et leur dignité. Pourtant, le maître batelier Merlin est un expert dans son domaine : « Le sud a pris tout doux, observe-t-il, ce qui remue ici c'est une queue de vent. On bien ça court beaucoup plus haut, et à raz de terre presque rien... L'orage a dû remonter et crever sur la Saône ». Ce jour-là, l'eau remonte et le brouillard persiste, Merlin est bien décidé à saisir cet avantage et à en profiter. Malgré les difficultés, il part, se faisant doubler par le vapeur, triomphant, qui s'échoue un peu plus bas et demande du secours.

Entre la batellerie et la 'vapeur', c'est maintenant la guerre : pas question de houer le 'Triomphant' prisonnier d'un banc de galets, la livraison de la bielle du 'Rhodan' se termine en bagarre générale et en déroute pour ceux de la vapeur. Patron Merlin a parfaitement réussi sa décize et en arrivant à Beaucaire, il est fêté comme un héros. Mais son triomphe sera de courte durée. Après la sécheresse qui avait retenu 'vapeurs' et rigues -les trains de bateaux- à Lyon pendant des jours et des jours, les pluies d'automne se mirent à grossir le fleuve qui promettait cette année 1840 une crue exceptionnelle. Dans ces conditions, personne ne voudrait prendre le risque de remonter le Rhône de Beaucaire jusqu'à Lyon. Trop dangereux.

Mais Merlin décide de lancer un défi au vapeur, au fleuve et sans doute à lui-même : son orgueil, sa fierté de seigneur du fleuve lui dictent de remonter coûte que coûte, connaître la peur et se risquer malgré tout. Il s'est séparé de son fils Claude et de son prouvier Tirou, coupables de collusion avec 'la vapeur' et il s'est adjoint un vieux marinier d'expérience le père Surdon, tout heureux de de joindre à l'expédition. Patron Merlin est d'autant plus décidé que deux vapeurs, des gros de chez Bonnardel, sont passés pendant qu'il était à l'arrêt du côté de Vallabrègues. Pour lui, c'est comme une provocation qu'il se doit de relever.

Niveau atteint par le Rhône en 1840              Niveau atteint par la Saône en 1840
Crue du Rhône à Livron en 1840       Niveau atteint par la Saône à Quincieux en 1840

Cette année-là, contrecoup de la sécheresse, la crue du Rhône fut exceptionnelle, en pleine ville de Lyon, « le fleuve atteignit jusqu'à 7,37 mètres au-dessus de son étiage. » L'eau ruisselait faisant gonfler comme jamais la Saône et le Rhône, inondant toute la région et « de grands lacs traversés de courants se formaient entre les montagnes. Les pentes étaient des torrents et les plaines étaient des lacs. » Les flots furieux du Rhône charriant d'énormes débris, des arbres entiers déracinés, seront fatals au patron Philibert Merlin, seigneur du fleuve, « déjà le Rhône l'empoigne, le retourne comme un enfant et lui brise la tête contre le pilier de ce pont où viennent de se fracasser, sans l'ébranler, toutes les belles barques de sa rigue. »

Notes et références
1
Le Rhône ou Les métamorphoses d'un dieu, Bernard Clavel : Le grand Rhône, Rives et lônes, La batellerie, La vie autour du fleuve, La joute, Villes et villages, photos d'Yves André David, éditions Hachette, 126 pages, 1979
2
↑ Voir aussi La Guinguette, Bernard Clavel, éditions Albin Michel, 1997
3
↑ Voir de Bernard Clavel "La révolte à deux sous"
4
↑ Voir de Bernard Clavel "Pirates du Rhône", Robert Laffont, 1974

Voir aussi
*
Pirates du Rhône, Récits et essais (Clavel)La Guinguette, Clavel et le Rhône --

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Le Seigneur du fleuve (extrait )

Le Seigneur du fleuve : Le père et le fils

Tandis qu’il bourrait le tabac, le vieux eut un ricanement.
- Toi aussi, tu as les mains qui tremblent, remarqua-t-il, mais ça n’est pas à cause de l’âge. C’est parce que tu es furieux... Et je vais te dire, parce que je te connais bien, c’est après toi que tu es furieux.

- Ecoutez, père...

- Non, laisse-moi dire. Tu es furieux. Et je te connais bien parce que j’ai été exactement comme tu es. L’âge m’a fait passer tout ça. Sinon, en entrant ici, je te calottais comme tu as calotté ce pauvre Adrien. Il ne pouvait rien faire parce que tu es plus fort que lui ! Toi, tu ne pouvais rien faire parce que je suis ton père.

- Mais enfin, père...

Philibert essayait d’interrompre le vieux, et pourtant, si le vieux l’avait laissé parler, il n’aurait probablement rien dit de censé.

- Je te connais tellement bien que je vais dire ce que tu penses en ce moment. Tu penses : J’ai foutu le camp parce que tout le monde me mettait mal à l’aise. Après ce que j’avais fait, j’ai préféré foutre le camp. Mais j’ai fait une connerie de plus. Les autres me respectent. Ils m’auraient regardé de travers, mais ils m’auraient foutu la paix. Le vieux, c’est pas pareil. Il va m’emmerder pendant une heure d’horloge... Voilà ce que tu penses.

En ce moment. Maintenant. Là. En bourrant ta pipe et en me reluquant par-dessous comme un sournois. Voilà ce que tu penses !... Je le sais. Et je sais que tu n’oseras pas prétendre le contraire... Allons, dis... dis si je me trompe ?

A mesure que le père parlait, sa voix avait changé. De la colère mal contenue, il avait viré sur la moquerie, et, en finissant, il donnait l’idée d’un homme qui a envie de rigoler un bon coup.

Philibert leva les yeux. Leurs regards se croisèrent. Il y eut, par-dessus la table où la lumière jouait à travers le vin secoué dans les verres, comme une étreinte. En même temps, ils éclatèrent tous les deux d’un grand rire. 

Le vieux toussa, se pencha vers la gauche pour expédier dans l’âtre un long jet de salive qui chuinta sur les braises, puis, passant le revers de sa main sur sa bouche, il dit :

- Bon Dieu, c’est curieux comme les choses se font. je m’en viens du port. Je me force à marcher alors que j’ai envie de cavaler. Je marche. Et tout le long je me répète : cette espèce de morveux de Philibert, je m’en vais te lui sonner un branle, quelque chose de bien. Ce coup-ci, il s’en souviendra. Il a beau avoir quarante-cinq ans, il va m’entendre ! Tout le long, je me dis ça. Et j’arrive.

Et je te vois tout bête. Et je vois ton verre vide, et je me dis : Il est comme toi, la colère lui sèche sa gorge. Et je veux tout de même te sonner le branle. Et je te regarde. Et je me dis encore : Félix, à son âge, tu étais comme lui. Aujourd’hui, tu as septante-deux ans, mais à quarante-cinq ans, tu aurais fait les mêmes conneries que lui.

Le vieux se tut. Il but une gorgée. Philibert qui le regardait se remit soudain à rire.

Notes et références
*
Bernard Clavel Montbéliard - Pascale Eglin : peglin@montbeliard.com -

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Seigneur fleuve © CJB 30/09/2014 >>
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Le tambour du bief

Le tambour du bief est un roman de l'écrivain Bernard Clavel publié en 1970 aux éditions Robert Laffont.

             

Le tambour du bief renvoie à la jeunesse de Bernard Clavel, la ville de Dole dans le Jura, le pays de sa mère, le quartier du Bief près du canal Charles-Quint que domine la masse sombre de la Collégiale, avec les petites écluses du canal –qu’on nomme ici des biefs- la forêt de Chaux à quelques kilomètres où le Tambour du bief a passé sa jeunesse et va finir par se retirer.

Il est aussi chef tambour à la fanfare municipale et participe à la retraite aux flambeaux, titre d’un autre roman de Bernard Clavel qui se déroule aussi dans un village du Doubs. On y trouve l’ambiance des sociétés de sauvetage et de joutes nautiques, l’Union marinière du Doubs, dont Bernard Clavel se servira plus tard dans son roman La Guinguette, cette fois sur le Rhône, opposant lyonnais et givordins.



Ce roman est pour lui une nouvelle occasion de dénoncer la violence et la guerre, comme il l’a fait tout au long de sa vie, en faisant dire à son héros Antoine : « Oui, mon père a été tué à la guerre… Non ce n’est pas ça que je suis antimilitariste… c’est parce que je déteste les cons… »

Son héros, homme simple et honnête, se trouve confronté à un cas de conscience qui lui gâche la vie, pris entre son devoir, l’amitié qu’il porte à ses voisins et comme infirmier, le respect qu’il a de la vie. Antoine, il ressemble tant à ces âmes droites dont parle Pierre-Antoine Perrot, dans cette citation que Bernard Clavel a placée en exergue de son livre : « Le sort des âmes droites est d’accomplir des actes dont elles se refusent à peser les conséquences dans une société qui vit trop souvent de calcul et d’hypocrisie. »

La vie d’Antoine qu’on appelle plus souvent Tonin ou encore Peau-Fine, c’est la société de sauvetage et de joutes nautiques, l’Union marinière du Doubs, où il est chef tambour, où il retrouve ses copains, rentre parfois bien éméché, c’est aussi le braconnage du poisson avec sa chienne Suzette, son ami Emmanuel Dutriez, le grand Manu qui, au chômage avec une famille nombreuse, connaît des temps difficiles.

     
Dole, la collégiale                                       Le Doubs à Dole

C’est également son travail d’infirmier à l’hôpital de la ville et les piqûres qu’il fait à domicile et bénévole, la piqûre quotidienne à la mère Kermeur, la belle-mère d’Emmanuel, atteinte d’un cancer. Son tourment. La pauvre femme le supplie de mettre fin aux atroces douleurs qui l’assaillent. Elle évoque constamment cette vie de souffrances, devenue inutile et même pire, une charge pour sa famille, sa fille Martine, son gendre Emmanuel et leurs six enfants. « Tu me laisseras pas, hein, tu me laisseras pas, » murmure-t-elle à Antoine. Elle regarde longuement Antoine et ses yeux parlent pour elle. Mais comment Antoine, lui l’infirmier qui soulage son prochain, toujours aimable et compatissant avec les petits vieux qu’il soigne à l’hôpital, pourrait-il se résoudre ? Ce dilemme qui l’angoisse, arrive même à gâcher ses petits plaisirs.

Il devenait de plus évident qu’Emmanuel, qui avait connu la prison après une bagarre avec les gendarmes, ne trouverait plus de travail dans la région. Mais la famille ne pouvait partir avec la grand-mère impotente, pratiquement en fin de vie. Antoine boit de plus en plus, arpente la forêt et les rives du Doubs, mais rien ne parvient à calmer ce sentiment qui l’habite, mélange de lâcheté et de culpabilité qu’il traîne comme un remords. Il a bien essayé pour Emmanuel qui n’est pas exigent, qui accepterait un simple travail de manœuvre, mais ni e maire, son copain de jeunesse, ni son oncle Léopold n’ont voulu l’aider ; jamais Emmanuel ne trouvera d’emploi ici.

      Image illustrative de l'article Le Tambour du bief
Joutes nautiques                                              Le tambour du bief

Antoine a pris sa décision qu’il met aussitôt à exécution : dérober une ampoule de tubocurarine à l’hôpital et faire une intraveineuse à la mère Kermeur. Ça paraît facile dans cet hôpital, qu’il connaît parfaitement : prendre la clé, descendre jusqu’au placard à pharmacie, prélever une ampoule à une heure creuse, l’affaire de quelques minutes… mais au moment e faire la piqûre fatidique à la grand-mère, il renonce. C’est trop pour lui. Antoine eut beau faire des efforts, tenter de faire normalement son travail, préparer les prochaines joutes, le cœur n’y était plus, ses pensées étaient chez les Dutriez et la grand-mère qui n’en finissait pas de s’éteindre dans la souffrance. Cette fois le choix s’impose à lui et ce jour propice de joutes où les hommes et femmes s’affairent pour la fête, « Antoine est la vipère qui va injecter son poison. »

Comme si de rien n’était, il joue son rôle de chef tambour. Il n’éprouve aucun remords, il est même soulagé à l’idée que Manu va pouvoir accepter le travail qu’on lui propose ailleurs, que la famille libérée du poids de la malade, va pouvoir déménager. Le docteur Vidal qui devait opérer madame kermeur, a tout compris, l’amitié et la compassion qui l’ont poussé à cet acte, lui offre un départ décent sous forme de retraite anticipée. Ainsi, il retournera vivre pas très loin, dans la Forêt de Chaux, tenir compagnie à son vieil oncle Léopold, l’homme qui l’a élevé.

Voir aussi
* Critique libre

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L'Hercule sur la place

L'Hercule sur la place est un roman de l'écrivain Bernard Clavel publié en 1966 aux éditions Robert Laffont. Ce roman a donné lieu à une adaptation télévisée de René Lucot, avec Martin Trévières.

                

Présentation
Voilà ce que dit Bernard Clavel lui-même de son roman, de cet homme Kid Léon qu'il a bien connu et dont il s'est servi pour camper le héros de son roman 1 :

« Nous avons tous le souvenir de maîtres dont l'enseignement nous a marqués. Quand je cherche parmi les miens, le visage qui s'impose est celui de Kid Léon. Ce n'était pas un philosophe, mais un hercule de place publique. Il n'avait jamais quitté l'école où il avait tout appris ; simplement, il avait fini par passer, sans s'en apercevoir, au rang de ceux qui enseignent.
Cette école était la vie. Elle avait pour cadre la fête foraine. Kid enseignait, par l'exemple, la morale, l'honnêteté, le goût de la lutte loyale pour la vie en un monde où rien n'est facile. En somme, écrivant son histoire, c'est un peu l'aventure de notre amitié que je raconte. Je n'ai rien inventé, mais seulement transposé certains faits pour les plier à la forme de mon récit. » 2

                Image illustrative de l'article L'Hercule sur la place

Structure
- Première partie  : Le baron
- Deuxième partie  : Adieu la vogue
- Troisième partie : La belle vie
- Quatrième partie : Le diable dans le bocal
- Cinquième partie : L'évasion

Bernard Clavel a placé en exergue cette citation de Dostoïevski : « Un être qui s'habitue à tout, voilà je pense, la meilleure définition qu'on puisse donner de l'homme. »

Résumé et contenu

La vie de Kid Léon, entre baraque foraine et exhibitions dans les foires, est difficile mais elle lui apporte ce qui est sans doute pour lui le plus précieux : la liberté. Être son maître, faire ce qui lui plaît. Les contraintes, il les vit tous les jours, les contreparties, il les connaît bien et s'en glorifie parfois : pas d'attaches, pas de femmes, pas d'enfants.

La vie de Pierre Vignaud, entre errance et petits larcins, est difficile aussi, une vie qui aurait pu le conduire en prison comme son ami Guy ou pis encore au meurtre, à l'irrémédiable, comme les trois adolescents de son roman Malataverne. Partir, c'est aller à l'aventure, juste ce qui faut à Pierre pour qu'il suive une autre route et trouve d'autres raisons de vivre.

Tous deux vont conjuguer leur soif de liberté au hasard des foires de villages : c'est ce qui les rapproche, eux qui sinon sont si différents l'un de l'autre. Mais le passé va les rattraper : Kid Léon va rester à Lyon, fidèle à sa vieille amitié pour Gégène qui meurt en laissant sa famille dans le besoin, Pierre pour Diane et l'enfant qu'elle porte. Fidélité à ceux qu'ils aiment et à l'image qu'ils ont d'eux-mêmes.
               

La fête foraine s'est installée sur cette place de Vienne où le client se fait rare. Temps pourri : le vent souffle par rafales, la pluie tenace tombe drue, quelques badeaux rodent autour du stand de tir et des manèges. Une vraie catastrophe pour les forains, pour la baraque de Pat Carminetti qui vit là avec le père invalide, sa femme Tine et sa fille Diane. Il dirige une équipe de costauds qui pratiquent haltères, lutte et boxe. Le clou du spectacle est sans doute la séance de catch entre Kid Léon et son partenaire le vieux Tiennot.

  Manège à Lyon

Un soir de mai, Pierre Vignaud, avec son ami Guy Lemoine, va se noyer dans l'atmosphère de la fête foraine. Ils rodent dans la vogue, comme on dit par ici, guettant une occasion pour se faire un peu d'argent ou au moins trouver à manger. Ils sont en cavale, alors la première roulotte venue est la bonne mais les choses tournent mal, Guy s'enfuit et Pierre tombe entre les mains de Kid Léon. C'est un costaud bonne pâte, un Modeste à la Brassens, qui prend Pierre sous son aile et le forme comme partenaire. Pierre hésite, rester, partir, c'est un peu son destin qui se joue, même s'il n'en a guère conscience. Mais le dernier jour à Vienne, c'est le drame : une corde lâche et le vieux Tiennot valdingue dans le public.

À Lyon, ils s'installent sur le cours de Verdun face à la gare de Perrache. Tout va mal : aucun partenaire valable pour remplacer Tiennot, Pat Carminetti boit de plus en plus et le grand copain Gégène de Kid n'en a plus pour très longtemps. Alors, Kid Léon et Pierre reprennent la route, s'arrêtent à Bourg-en-Bresse donnant un spectacle sur le champ de foire puis dans les villages bressans. Pierre en bave pour apprendre le métier, ce n'est pas de tout repos mais Pierre s'y habitue au fil des villages où ils s'arrêtent pour donner leur spectacle.


Lyon Place Carnot

Mais il faut qu'ils rentrent à Lyon, Gégène étant au plus mal, pour aider sa femme et ses enfants. Ils ne peuvent qu'assister à ses derniers instants. Fini le combat avec le forgeron de Louhans, ils vont reprendre la baraque de Pat Carminetti, incapable maintenant de s'en occuper. Leur soif de liberté a buté sur l'amitié que Kid Léon porte à Gégène et l'amour de Pierre pour Diane et l'enfant qu'elle porte. Kid Léon est philosophe : « Dans la vie, faut jamais faire de projets » dit-il à Pierre. Angèle, la femme de Gégène, a bien deviné le dilemme de Kid Léon : « Tu regrettes de rester là. De perdre ta liberté » lui dit-elle pour ajouter qu'il ne doit pas se sentir lié.
 
      Baraque foraine

Rester, s'attacher, aimer ou partir à la recherche de ses rêves, tentation qu'a aussi connut Pierre de quitter le 'petit hercule' et de rejoindre la route nationale qui l'emporterait vers une autre vie. Pour Pierre, la liberté devait se situer quelque part entre cette errance précaire qu'il avait connue avec Guy et la grisaille de 'l'usine de verres', « un monde triste et dur. Un monde monotone. » Quand Kid lui avait rappelé sa vie d'alors, son sang ne fit qu'un tour : « N'importe quoi, mais pas cette vacherie-là » lui rétorqua-t-il.
Pour Kid Léon, la liberté est aussi dans sa tête, celle de réaliser un jour un autre rêve, avec Pierre et les siens, Angèle et ses enfants : monter un petit cirque et repartir tous ensemble à l'aventure dans les villes et les villages de la région.

      
Villes où se déroule le roman : Vienne et Bourg-en-Bresse

Commentaires
Présentation extraite de l'édition J'ai LU :
« Un roman de Bernard Clavel ne se raconte pas en quelques lignes : il faut le vivre. Se laisser emporter par cette voix, une des rares parmi celles des écrivains de notre temps, qui sache parler sans une fausse note de ces choses toutes simples : l'amour et la peine des hommes. »
Commentaire extrait de Rats de bibio-net :
« De fait, 'L'Hercule sur la place' raconte comment on se bonifie au contact des gens profondément humains, et qui réalisent ce tour de force : demeurer bons et honnêtes, malgré les embêtements de tous ordres que génère le quotidien. »

Notes et références

  1. Kid Léon le héros du livre s'appelait en réalité Ted Robert
  2. Voir son livre autobiographique écrit en collaboration avec Adeline Rivard, Bernard Clavel, qui êtes-vous ?
Voir aussi
Le petit Blanchard
, la lutte lyonnaise, revue des Lyonnais, 1846, réédité dans Lyon, vingt siècles de chroniques surprenantes, Jacques Borgé et Nicolas Viasnoff, Éditions Balland, 1982

            <<< Christian Broussas - Feyzin, 10/12/2009 - << © • cjb • © >>>