mardi 22 octobre 2013

Bernard Clavel et l'écriture - Suite

Bernard Clavel : style et écriture

Lien avec  la première partie de Bernard Clavel et l'écriture

« Style plat » disaient certains de ses critiques. C'était bien mal le lire, trop vite parcourir ses écrits. Michel Ragon le soupçonne d'avoir eu au début un style trop recherché qui ne lui convenait pas, « l'art pour l'art » de ses deux premiers romans qu'il a détruits, et même le premier publié Pirates du Rhône qui est dit-il, d'abord « un poème du Rhône ».

Son style deviendra à l'image de son Jura natal « simple et dru... sans artifices. » Selon Michel Ragon, « cette écriture qui court au fil des souvenirs, Clavel l'a voulue neutre. Il veut que la vie passe au travers, sans qu'aucun cristal ne s'interpose.» Clavel dira à sa biographe Marie-Claire de Conninck : « J'attache plus d'importance au contenu qu'à la forme.» Il est en fait l'un des principaux représentants du courant "néo-naturalisme" privilégiant "cette solidité ultra classique en passe de devenir le nouveau style Goncourt ». Après l'attribution du prix Goncourt, la critique, plus conciliante, parle alors de "style Clavel". Pour André Wurmster dans un article paru dans Les Lettres françaises, « le roman (L'Espagnol) dit avec une minutieuse exactitude les paysages et les saisons... la vie qui continue et le souvenir des morts qui tire en arrière ».

   
Biographie de Clavel par Michel Ragon

Il y a selon Yves Berger « le sens de la fatalité, celui de la solitude et de la résignation ». Son style sert à cerner ses personnages, à leur donner une "épaisseur" comme le sculpteur qui pétrit l'argile, à peindre l'ambiance d'une époque et à en brosser le tableau. « Il y a dans La Maison des autres une description minutieuse du travail de la pâtisserie dans un vocabulaire technique précis. Mais il y a aussi en arrière-plan le Front Populaire... Il y a encore tout l'environnement de cette époque en brosser le tableau. » (Michel Ragon page 58)

Chez lui, le "vieux" c'est le sage, l'initiateur.  Bernard  Clavel trace d'inoubliables portraits  de"vieux" : le père et la mère Dubois dans La Grande patience, Clopineau dans L'Espagnol, le passeur dans Pirates du Rhône, le père Quantin dans Le voyage du père, campé dans le film par Fernandel, le 'batteur d'eau' dans Le Seigneur du fleuve ou le père Vincendon..." (Michel Ragon page 62)


Clavel : biographie de Michel Ragon et essai de  Noël Boichat

Extraits de quelques œuvres

Extrait de La Maison des autres«  Ils se levèrent à 2 heures. Leur fatigue était  encore en eux,  intacte... Ils grimaçaient en s'étirant. L'eau froide du robinet, la bise qui coulait jusqu'au fond de la cour, parvenaient seules à les réveiller vraiment... Julien se sentait vaciller par instants. Il s'ébrouait comme un cheval, essayant de secouer le sommeil qui coulaient sur ses paupières. Dans ses jambes, ses reins, le long de ses flans et jusqu'au bout de ses doigts couraient de longues douleurs diffuses. »

Extraits de L'Espagnol : « Il eut soudain l'impression que le ciel s'ouvrait d'un coup. Ce fut comme une pluie de lumière. Il s'arrêta et leva la tête. Pourtant la brume courait sous le soleil en grandes vagues molles qui s'accrochaient aux ceps... Les premiers arbres émergeaient, encore pâles,  mais scintillants. »
« Le soleil avait disparu depuis longtemps... Sur toute la terre, il y avait une grande fatigue qui brouillait le regard. Une grande fatigue... comme des vagues qui montaient le long des jambes de Pablo, serraient son corps, résonnaient dans sa tête et se laissaient tomber de tout leur poids dans ses mains pendantes de chaque côté de l'échelle... Il y avait sur toute la plaine une grande fatigue et comme la promesse d'un grand repos. »

«  - Tais toi ! cria le lieutenant. Je t'interdis de le toucher, tu entends. Il nous a tout avoué, maintenant c'est fini. Il s'est conduit comme un salaud, c'est entendu, mais ce n'est pas à nous de le condamner. Il y aura des tribunaux pour ça. » (La peur de Pablo)

Extrait de Le Seigneur du fleuve : « C'était une belle eau de remonte. Une belle eau ronde et fière qui coulait à pleins bords. Une eau à vous faire oublier celle qui continuait de tomber du ciel tellement serrée que, des barques qui remontaient en suivant la rive droite, les hommes devinaient à peine quelques formes d'arbres gris sur la rive gauche. » (Le chemin de halage)

Extrait de Le Silence des armes : « Jacques regardait. Le souffle bloqué d'abord, la gorge serrée, les mains crispées sur le bord de la maie, il ne pouvait détacher son regard de cette serviette blanche et de ces objets. Soudain, il venait de comprendre vraiment ce qu'avait dû être la fin de sa mère. La solitude. »

 Extrait de L'Hercule sur la place : « - Chasse ! lança Kid. Pierre n'hésita pas. Comme si l'ordre de Kid eut soulevé ses pieds, ils quittèrent le sol et frappèrent la poitrine de l'homme en un saut chassé fulgurant. Surpris, son adversaire chancela, recula d'un pas...»

Extrait de Le massacre des innocents : «  Joseph, c'est l'ouragan. Un regard qui vous pique l'œil, un rire qui vous troue les oreilles. Un petit bout d'homme pas plus haut qu'une corbeille à papier et qui, à lui seul, fait vivre toute la grande maison. Joseph, il faudrait qu'il reste tel qu'il est. Un symbole de la résurrection. Une preuve que la résurrection est possible. »

Extrait de La lettre au maire de Gambais : «  ...c'était donc à vous, Monsieur le Maire, que revenait l'honneur d'organiser le centenaire de Landru. [...] Vous refusez de reconnaître les mérites de Landru et, à travers lui, c'est le monde des gagne-petit, toute la famille des humbles artisans que vous semblez mépriser.  [...] Est-ce cette minuscule cuisinière qui vous gêne ?  Mais, Monsieur le Maire, pour modeste qu'elle soit, la cuisinière de Monsieur Landru n'en est pas moins l'ancêtre des fours crématoires que devait utiliser plus tard Monsieur Hitler...»

Extrait de Lettre à un képi blanc : « ... Car enfin, ce qu'ils vous reprochaient, c'était de faire une guerre inhumaine. Quelle farce énorme ! Comme si la guerre pouvait avoir quoi que ce soit d'humain, hormis la souffrance et la mort ! » (La guerre inhumaine)

Extrait de Lettre à Hans Balzer : « Souviens-toi Hans mon ami, cette nuit du 16 au 17 mai dans Weimar endormie. Souviens-toi : "Jeunes frères ennemis". C'est par ces mots que commence "Au-dessus de la mêlée" cette page bouleversante d'un homme qui nous avait réunis. Et cette nuit-là, dans la cité tout imprégnée du souvenir de Goethe, nous devions découvrir soudain que nous avons été cela. »

Extrait de Hommage à Lecoin : « Si petit et si grand, si modeste et si important [...] Il sut toujours conduire sa carcasse où elle avait le plus de raisons de trembler, et pourtant, il combattait les mains nues... sans autre arme que son cœur débordant d'amour, il affrontait la meute nourrie de haine...»

Extrait de Défense de Jean-Marie Deveaux : « Deveaux, nous en sommes convaincus à présent, c'est l'erreur judiciaire... Durant des jours, l'idée que ce garçon emprisonné pouvait être innocent m'a poursuivi. [...] Ses appels m'ont ému... ses lettres m'ont ému... ont contribué à faire éclore en moi une colère qui ne s'éteindra qu'avec la révision. » 

 Extrait de Vie et langage : «  Toute œuvre littéraire est un mur à monter mais les pierres et le mortier du langage sont des matériaux plus vivants encore que  le granite, le sable et la chaux. Écrire, c'est se  vider de sa vie... c'est s'appauvrir sans aucune certitude que ce que nous donnons profitera à l'autre. [] Je placerai plutôt en tête de mes propres raisons d'écrire le besoin et la volonté d'échapper à ma solitude  en faisant partager mes propres émotions. » 

 

Extrait de Célébration du bois : « Loin des chapelles et loin du luxe offensant de confuses liturgies, je conserve une croix. Une croix toute simple dont j'aime à caresser le bois rugueux comme un chemin semé d'embûches; un chemin dont pourtant, les limites sont tracées sans faiblesse. » 

Extrait de Mourir à Dacca (préface) : « Ces tueries au Bangladesh, ces millions de réfugiés déferlant sur le Bengale indien... composent un film dont les images souvent insupportables ont été projetées sur les écrans du monde dit civilisé sans soulever beaucoup de protestations. C'est peut-être que ce monde s'habitue à l'horreur...Lors de mon premier voyage au pays de la mort, j'ai crié cette honte. [...] Au Bengale, la chaleur des bûchers dévorant les cadavres ne séchera pas le sang qui emplit le fossé creusé entre les parties. » 

    
   <<< Christian Broussas Clavel, L'écriture, suite- Octobre 2013 © • cjb • © >>>

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