mardi 22 octobre 2013

Bernard Clavel et l'écriture - Suite

Bernard Clavel : style et écriture

Lien avec  la première partie de Bernard Clavel et l'écriture

« Style plat » disaient certains de ses critiques. C'était bien mal le lire, trop vite parcourir ses écrits. Michel Ragon le soupçonne d'avoir eu au début un style trop recherché qui ne lui convenait pas, « l'art pour l'art » de ses deux premiers romans qu'il a détruits, et même le premier publié Pirates du Rhône qui est dit-il, d'abord « un poème du Rhône ».

Son style deviendra à l'image de son Jura natal « simple et dru... sans artifices. » Selon Michel Ragon, « cette écriture qui court au fil des souvenirs, Clavel l'a voulue neutre. Il veut que la vie passe au travers, sans qu'aucun cristal ne s'interpose.» Clavel dira à sa biographe Marie-Claire de Conninck : « J'attache plus d'importance au contenu qu'à la forme.» Il est en fait l'un des principaux représentants du courant "néo-naturalisme" privilégiant "cette solidité ultra classique en passe de devenir le nouveau style Goncourt ». Après l'attribution du prix Goncourt, la critique, plus conciliante, parle alors de "style Clavel". Pour André Wurmster dans un article paru dans Les Lettres françaises, « le roman (L'Espagnol) dit avec une minutieuse exactitude les paysages et les saisons... la vie qui continue et le souvenir des morts qui tire en arrière ».

   
Biographie de Clavel par Michel Ragon

Il y a selon Yves Berger « le sens de la fatalité, celui de la solitude et de la résignation ». Son style sert à cerner ses personnages, à leur donner une "épaisseur" comme le sculpteur qui pétrit l'argile, à peindre l'ambiance d'une époque et à en brosser le tableau. « Il y a dans La Maison des autres une description minutieuse du travail de la pâtisserie dans un vocabulaire technique précis. Mais il y a aussi en arrière-plan le Front Populaire... Il y a encore tout l'environnement de cette époque en brosser le tableau. » (Michel Ragon page 58)

Chez lui, le "vieux" c'est le sage, l'initiateur.  Bernard  Clavel trace d'inoubliables portraits  de"vieux" : le père et la mère Dubois dans La Grande patience, Clopineau dans L'Espagnol, le passeur dans Pirates du Rhône, le père Quantin dans Le voyage du père, campé dans le film par Fernandel, le 'batteur d'eau' dans Le Seigneur du fleuve ou le père Vincendon..." (Michel Ragon page 62)


Clavel : biographie de Michel Ragon et essai de  Noël Boichat

Extraits de quelques œuvres

Extrait de La Maison des autres«  Ils se levèrent à 2 heures. Leur fatigue était  encore en eux,  intacte... Ils grimaçaient en s'étirant. L'eau froide du robinet, la bise qui coulait jusqu'au fond de la cour, parvenaient seules à les réveiller vraiment... Julien se sentait vaciller par instants. Il s'ébrouait comme un cheval, essayant de secouer le sommeil qui coulaient sur ses paupières. Dans ses jambes, ses reins, le long de ses flans et jusqu'au bout de ses doigts couraient de longues douleurs diffuses. »

Extraits de L'Espagnol : « Il eut soudain l'impression que le ciel s'ouvrait d'un coup. Ce fut comme une pluie de lumière. Il s'arrêta et leva la tête. Pourtant la brume courait sous le soleil en grandes vagues molles qui s'accrochaient aux ceps... Les premiers arbres émergeaient, encore pâles,  mais scintillants. »
« Le soleil avait disparu depuis longtemps... Sur toute la terre, il y avait une grande fatigue qui brouillait le regard. Une grande fatigue... comme des vagues qui montaient le long des jambes de Pablo, serraient son corps, résonnaient dans sa tête et se laissaient tomber de tout leur poids dans ses mains pendantes de chaque côté de l'échelle... Il y avait sur toute la plaine une grande fatigue et comme la promesse d'un grand repos. »

«  - Tais toi ! cria le lieutenant. Je t'interdis de le toucher, tu entends. Il nous a tout avoué, maintenant c'est fini. Il s'est conduit comme un salaud, c'est entendu, mais ce n'est pas à nous de le condamner. Il y aura des tribunaux pour ça. » (La peur de Pablo)

Extrait de Le Seigneur du fleuve : « C'était une belle eau de remonte. Une belle eau ronde et fière qui coulait à pleins bords. Une eau à vous faire oublier celle qui continuait de tomber du ciel tellement serrée que, des barques qui remontaient en suivant la rive droite, les hommes devinaient à peine quelques formes d'arbres gris sur la rive gauche. » (Le chemin de halage)

Extrait de Le Silence des armes : « Jacques regardait. Le souffle bloqué d'abord, la gorge serrée, les mains crispées sur le bord de la maie, il ne pouvait détacher son regard de cette serviette blanche et de ces objets. Soudain, il venait de comprendre vraiment ce qu'avait dû être la fin de sa mère. La solitude. »

 Extrait de L'Hercule sur la place : « - Chasse ! lança Kid. Pierre n'hésita pas. Comme si l'ordre de Kid eut soulevé ses pieds, ils quittèrent le sol et frappèrent la poitrine de l'homme en un saut chassé fulgurant. Surpris, son adversaire chancela, recula d'un pas...»

Extrait de Le massacre des innocents : «  Joseph, c'est l'ouragan. Un regard qui vous pique l'œil, un rire qui vous troue les oreilles. Un petit bout d'homme pas plus haut qu'une corbeille à papier et qui, à lui seul, fait vivre toute la grande maison. Joseph, il faudrait qu'il reste tel qu'il est. Un symbole de la résurrection. Une preuve que la résurrection est possible. »

Extrait de La lettre au maire de Gambais : «  ...c'était donc à vous, Monsieur le Maire, que revenait l'honneur d'organiser le centenaire de Landru. [...] Vous refusez de reconnaître les mérites de Landru et, à travers lui, c'est le monde des gagne-petit, toute la famille des humbles artisans que vous semblez mépriser.  [...] Est-ce cette minuscule cuisinière qui vous gêne ?  Mais, Monsieur le Maire, pour modeste qu'elle soit, la cuisinière de Monsieur Landru n'en est pas moins l'ancêtre des fours crématoires que devait utiliser plus tard Monsieur Hitler...»

Extrait de Lettre à un képi blanc : « ... Car enfin, ce qu'ils vous reprochaient, c'était de faire une guerre inhumaine. Quelle farce énorme ! Comme si la guerre pouvait avoir quoi que ce soit d'humain, hormis la souffrance et la mort ! » (La guerre inhumaine)

Extrait de Lettre à Hans Balzer : « Souviens-toi Hans mon ami, cette nuit du 16 au 17 mai dans Weimar endormie. Souviens-toi : "Jeunes frères ennemis". C'est par ces mots que commence "Au-dessus de la mêlée" cette page bouleversante d'un homme qui nous avait réunis. Et cette nuit-là, dans la cité tout imprégnée du souvenir de Goethe, nous devions découvrir soudain que nous avons été cela. »

Extrait de Hommage à Lecoin : « Si petit et si grand, si modeste et si important [...] Il sut toujours conduire sa carcasse où elle avait le plus de raisons de trembler, et pourtant, il combattait les mains nues... sans autre arme que son cœur débordant d'amour, il affrontait la meute nourrie de haine...»

Extrait de Défense de Jean-Marie Deveaux : « Deveaux, nous en sommes convaincus à présent, c'est l'erreur judiciaire... Durant des jours, l'idée que ce garçon emprisonné pouvait être innocent m'a poursuivi. [...] Ses appels m'ont ému... ses lettres m'ont ému... ont contribué à faire éclore en moi une colère qui ne s'éteindra qu'avec la révision. » 

 Extrait de Vie et langage : «  Toute œuvre littéraire est un mur à monter mais les pierres et le mortier du langage sont des matériaux plus vivants encore que  le granite, le sable et la chaux. Écrire, c'est se  vider de sa vie... c'est s'appauvrir sans aucune certitude que ce que nous donnons profitera à l'autre. [] Je placerai plutôt en tête de mes propres raisons d'écrire le besoin et la volonté d'échapper à ma solitude  en faisant partager mes propres émotions. » 

 

Extrait de Célébration du bois : « Loin des chapelles et loin du luxe offensant de confuses liturgies, je conserve une croix. Une croix toute simple dont j'aime à caresser le bois rugueux comme un chemin semé d'embûches; un chemin dont pourtant, les limites sont tracées sans faiblesse. » 

Extrait de Mourir à Dacca (préface) : « Ces tueries au Bangladesh, ces millions de réfugiés déferlant sur le Bengale indien... composent un film dont les images souvent insupportables ont été projetées sur les écrans du monde dit civilisé sans soulever beaucoup de protestations. C'est peut-être que ce monde s'habitue à l'horreur...Lors de mon premier voyage au pays de la mort, j'ai crié cette honte. [...] Au Bengale, la chaleur des bûchers dévorant les cadavres ne séchera pas le sang qui emplit le fossé creusé entre les parties. » 

    
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lundi 21 octobre 2013

Bernard Clavel et l’écriture

La conception de l'écriture selon Bernard Clavel, à travers six de ses articles publiés sur ce sujet :
Un écrivain à l’école : Œuvres complètes, tome III 
Le roman par le romancier : Texte paru dans la revue Europe en 1968 et Œuvres complètes, tome II
Écrire, c’est se vider de sa vie : Œuvres complètes, tome III
Miroir Œuvres complètes, tome III
Tout au début était le rêve  Œuvres complètes, tome III, pages 911-912, éditions Omnibus
Écrire et réécrire : Avant-propos à Les Colonnes du ciel et Œuvres complètes, tome IV

     <<<<<<  Lien avec  la seconde partie de Bernard Clavel et l'écriture
   
          

1- Un écrivain à l’école : Œuvres complètes, tome III

Pour un écrivain comme Bernard Clavel qui a quitté l’école à 14 ans, c’est un choc de découvrir un extrait d’une de ses œuvres dans un manuel scolaire. « L’une de mes premières joies d’écrivain » précise-t-il. L’école, ce sont pour lui des souvenirs plutôt désagréables et se retrouver dans une salle de classe avec son statut d’écrivain constitue une expérience inédite.
Une réconciliation en quelque sorte.

Mais il va entrer –à son corps défendant- dans un autre univers qu’il appelle celui des ‘intellectuels purs’. Pour lui, une autre planète. Et les martiens qui y vivent veulent décortiquer ses bouquins, les mettre à nu, les soumettre à une radioscopie en règle. Il nomme cette opération le ‘dépiautage’, comme on fait en Bresse pour séparer les grains des "panouilles" de maïs. Il déplore que cette pratique finisse par tuer l’émotion. Lui s’imagine le métier d’enseignant comme une aventure, un homme  qui regarderait le monde avec un œil d’enfant.

 

2- L’écriture : Miroir article de Bernard Clavel, Œuvres complètes, tome III, pages 967-973, Éditions Omnibus

Bernard Clavel avoue qu’il n’aime pas beaucoup son image, qu’il ne se soumet aux photographes que pour des raisons professionnelles. Il se penche sur son visage comme pour y déceler les stigmates de son passé, le souvenir de cette mère qu’il a tant aimée et qu’il a fait souffrir. Il voudrait y trouver  non la réalité mais un portrait idéalisé, gommer les témoins de « défaites lourdes à porter ».

Il le scrute ce visage à la façon du peintre qu’il a été, à l’époque où il tentait en vain de le dessiner, détruisant ses ébauches trop ressemblantes et « s’efforçant de peindre le visage idéal ». Il choisit finalement l’écriture car « le roman accorde des libertés que la toile blanche m’a toujours refusées ». Le réalisme de la photo l’agace, surtout si elle est réussie. Il craint ces résurgences du « démon qui est en lui », même s’il est seul à les voir. (écrit à Château-Chalon en juin 1972)
 
   

3- L’écriture : Écrire et réécrire 
Avant-propos à Les Colonnes du ciel, Œuvres complètes, tome IV, Éditions Omnibus

Á propos de la réédition de sa suite romanesque Les Colonnes du ciel, Bernard Clavel avec sa femme Josette Pratte, entreprend un travail de relecture des cinq tomes qui la composent. Á cette occasion, il pose la question de savoir si un auteur peut affirmer « qu’il vient de donner d’un roman une version définitive ». Il repense à son ami, l’écrivain Jean Reverzy, jamais satisfait, qui reprend inlassablement le manuscrit de Place des angoisses par exemple.

L’œil neuf’ qui porte un regard nouveau sur ses textes, c’est celui de sa femme qui lui signale longueurs et lourdeurs de style ; il reconnaît humblement qu’elle a raison « neuf fois sur dix ». Il n’est même pas sûr que cette version écrite en 1984 soit définitive, se souvenant de cette phrase d’Ernst Jünger : « Aussi longtemps que nous restons des apprentis, nous n’avons pas le droit de vieillir ».
 
 
Georges Semprun auteur de "L'écriture ou la vie"

4- Le roman par le romancier : réflexion sur l’écriture 
Texte paru dans la revue Europe en 1968
Œuvres complètes, tome II, pages 1186-1193, Éditions Omnibus

Pour Bernard Clavel, l’écrivain se trouve un jour ou l’autre confronté à l’évolution de son époque. Il ne peut guère rester neutre face aux crimes, aux injustices, à la misère… comme aux actes « de dévouement et de grandeur ». Ainsi, « lorsqu’on n’a pas un tempérament de bête soumise, comment ne pas s’engager ? »

Ses personnages, il les puise dans sa vie quotidienne, surtout ceux qu’il a connus dans sa jeunesse, des gens simples aux prises avec leurs problèmes, ce qui transparait dans le réalisme de ses romans.  Pour lui, le roman est basé sur une construction réfléchie, assez libre cependant pour laisser passer l’émotion. Son élaboration, ce n’est pas seulement les quelque deux mois nécessaires à son écriture, c’est aussi des mois, parfois plus,  pour réunir la documentation et avoir le recul qu’il faut pour que l’ensemble puisse mûrir et se structurer.

Les contingences et les évolutions techniques font que l’écrivain est souvent amené –comme il l’a été lui-même  – à être aussi journaliste ou à participer à des productions audio-visuelles. Ce n’est parfois qu’un pis-aller tant dans ce domaines les contraintes économiques priment sur le travail de l’artiste.

Pour lui, un personnage existe vraiment quand il le poursuit constamment sans qu’il ne puisse s’en débarrasser tant que le roman n’est pas terminé. Quant à l’intrigue, il y est très attaché tout en constatant que de plus en plus, il se tient près de son plan initial, sans pour cela espère-t-il, ''brimer'' ses personnages.

Sa façon d’écrire, son style sont le fruit d’un long apprentissage, « en quelques années, écrit-il, j’ai empli une énorme malle de vers… qui ont servi à allumer le feu… » Il espère simplement avoir instillé un peu de poésie dans sa prose et tient la clarté pour qualité essentielle à travers ces deux citations qu’il a choisies :
-          « Il y a un minimum de clarté qui est une forme de politesse. » (Roger Martin du Gard)
-          « La clarté est la politesse de l’homme de lettres. »  (Jules Renard)

    

5- Tout au début était le rêve
Œuvres complètes, tome III, pages 911-912, Éditions Omnibus

Dans ce court article, Bernard Clavel part à la recherche d’un temps perdu et du mystère de la création. Il récuse la génération spontanée de l’inspiration, trop commode et trop romantique. Aussi loin qu’il remonte dans son passé, il y voit surtout des leçons de vie, la dure réalité de ses années d’apprentissage, de la guerre et des petits boulots. Et par-dessus tout, l’image récurrente de sa mère et celles d’une prime jeunesse rêveuse : « Tout au début était le rêve… »

Puis il y eut ses liens avec le Rhône, la fascination qu’il exerça sur lui, véritable histoire d’amour, même après que les hommes avides d’argent l’eurent mutilé. Pour lui, le métier d’écrivain, né sur les bords du Rhône dans les "lônes" de Vernaison, est un sacerdoce, une série de sacrifices dont il connaît trop bien le prix, ce partage impossible entre son œuvre et les autres. Depuis le temps, il en a pris son parti, la vie est ainsi faite, mais il sent encore et à jamais l’eau du fleuve couler dans ses veines.
« Tout au début était le rêve… »



6- Écrire, c’est se vider de sa vie : réflexion sur l’écriture
Œuvres complètes, tome III, pages 901-909, Éditions Omnibus

Pour aborder la question de la création, Bernard Clavel traite du langage comme d’un matériau, dans un mur à construire, chaque pierre doit être à sa place. Mais c’es surtout l’implication de l’écrivain  qui importe : pour lui, « écrire, c’est se vider de sa vie. C’est perdre sa sève, c’est s’appauvrir sans cesse et sans jamais aucune certitude que ce que nous donnons profitera à l’autre ».
L’œuvre est ce mélange de sentiments véhiculés par des mots qui doivent moduler la phrase pour restituer l’émotion dans toute sa dimension. Ainsi, c’est par le partage que l’écrivain peut échapper à sa solitude. Écrire, c’est aussi se survivre même si l’espoir est mince. Le maître mot du style, c’est la CLARTÉ, comme l’ont dit Jules Renard et Roger Martin du Gard.

Bernard Clavel a toujours admiré ceux qui ont le bonheur de créer de leurs mains et se considère lui-même comme un artisan. Il faut aimer pour bien créer, aimer les mots car disait Anatole France, « on n’est  écrivain qu’à ce prix ». Le travail d’écrivain est pour lui moins ingrat que celui de peintre qui doit tout exprimer, « tout dire en un instant », car « la peinture est l’art du coup de poing au creux de l’estomac » ajoute-t-il.

Malgré tout, l’écrivain doit apprivoiser les mots, les traquer dans des dictionnaires et Bernard Clavel se souvient de son premier roman aujourd’hui détruit où il mit six mois pour le relire et chercher les mots exacts, ceux qui traduisaient le mieux sa pensée. Les mots qu’on s’approprie sont comme un immense réservoir où on peut puiser à loisir et où on peut aussi en rajouter. Car, conclut Clavel, « l’aventure est au cœur de chaque mot comme elle est au cœur de l’homme ».

          
Texte de Régine Bouché 
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samedi 19 octobre 2013

Bernard Clavel Choix d'articles

A travers quelques articles, quelques portraits, ceux qui ont compté pour Bernard Clavel : Michel Ragon, Pierre Mac Orlan, Eugène Le Roy, Louis Lecoin, Terre d’Ornans, patrie de Courbet, Gauguin

Voir aussi d'autres articles de Bernard Clavel dans Clavel articles d'actualité

1- Introduction --Petit portrait de Bernard Clavel d’après Danielle Pampuzac, Œuvres complètes, tome I, préface, Éditions Omnibus


Des yeux clairs dans les gris-bleu, couleur de ces fleuves qu’il connaît bien, pull-over dans les mêmes tons. L’homme, sa « tendresse un peu bourrue », naturel  tel qu’il est toujours dans la vie, d’une fidélité à toute épreuve, parle de façon posée et volubile. « Il pourrait sortir d’un de ses romans », ajoute-t-elle.

Sortir d’un roman comme Le Seigneur du fleuve par exemple, costaud, clame, obstiné, « débordant d’une énergie maîtrisée ». Et comme tout créateur, rêveur, pas toujours présent, en ''colloque singulier'' avec ses personnages, mais en même temps attentif et toujours disponible pour « les engagements qu’il juge essentiels ».

Enfant, il vit dans une maison sans livres et sans électricité et cette absence, ce manque, il le comble en aiguillant son imagination, voguant au grand large dans un univers d’aventures héroïques, perché sur le chêne étêté planté dans le jardin. Ses ''universités'', il les fera comme apprenti boulanger, bûcheron, relieur, journaliste… travaillant la terre avec l’Espagnol ou s’exerçant à L’Hercule sue la place. Ses romans, il nous parle de toutes ces expériences, ils nous parlent de nous aussi, par la subtile alchimie de la transposition romanesque, l’épuisante obstination du conteur, « engrangeur de mémoires », à créer des univers où le lecteur puisse se projeter.  
 
        Michel Ragon                   Pierre Mc Orlan 

2- Bernard Clavel de 1968 à 1975 : par Michel Ragon, Œuvres complètes, tome III, préface de Michel Ragon, éditions Omnibus, septembre 2004, isbn 2-258-06593-0

L’année 1968 est un grand cru pour Bernard Clavel, année où il est révélé au grand public, année de consécration avec Le grand prix littéraire de la ville de Paris puis le Prix Goncourt pour son roman Les fruits de l’hiver (dernier tome de La Grande patience). En 1970, il retourne dans son Jura natal à Château-Chalon où dans son nouveau roman Le Seigneur du fleuve, il renoue avec le Rhône, ce fleuve qu’il aime tant et qui est le vrai héros du roman.


Les années soixante dix vont être marquées par son engagement envers tous ceux qui souffrent de par le monde, et d’abord les victimes de la violence et de la guerre. Cet engagement va se traduire par des actions ‘sur le terrain’ avec l’association Terre des hommes puis au Bangladesh où il criera « sa rage d’impuissance », il se fait militant pacifiste et tiers-mondiste avec son ami Louis Lecoin ou combat l’erreur judiciaire dans l’Affaire Jean-Marie Deveaux.

Sur le plan littéraire, ce sera son essai Le Massacre des innocents en 1970 et  la longue préface au livre de Claude Mossé Mourir pour Dacca en 1972 où il écrit que « la guerre avilit l’homme ». Puis ce sera son roman ‘anti militariste’ Le Silence des armes  en 1974 suivi de Lettre à un képi blanc l’année suivante, ainsi que nombre d’articles dans Liberté, la revue pacifiste de Louis Lecoin.

Bernard Clavel, à l’instar de ses aînés Zola, Hugo ou Voltaire, pose sa plume pour brandir l’étendard de la justice et de la paix car écrit Bernard Clavel  « le plus grand malheur du monde vient de ce que le pouvoir se trouve entre les mains de quelques individus qui se sont prostitués pour l’obtenir et que seuls intéressent ce pouvoir et l’argent qu’il procure ». 
  Louis Lecoin et Eugène Le Roy 

3- L’engagement : ''Pour Louis Lecoin'' : préface de Bernard Clavel  --  ''Écrits de Louis Lecoin'', Paris, 1974, avec une préface de Bernard Clavel, éditions de l’Union pacifiste, Œuvres complètes, tome III, pages 962-966, Éditions Omnibus

 

Pour sûr, Louis Lecoin n’eût pas goûté qu’on l’appelle un héros, lui qui a consacré sa vie à lutter pour la justice et la paix. Mais qui serait un héros si Lecoin ne l’était pas ! Il sut toujours dominer sa peur physique bien qu’il luttât constamment les mains nues. Il apparaît comme un Don Quichotte s’échinant contre l’absurdité, la sottise, la corruption et le vice. Malgré sa fragilité apparente, il émanait de sa personne un grand magnétisme qui en imposait. « Très tôt, je me suis frotté à la vie, écrit Bernard Clavel, rencontrant ainsi bien des misères et bien des injustices » mais sa révolte n’a jamais égalée celle de Lecoin, « regardez-le s’avancer comme un vieil arbre torturé par les vents les plus sauvages mais qui a su résister à toutes les tempêtes sans jamais courber l’échine ».

Son combat le plus connu, c’est d’avoir réussi à arracher le statut d’objecteur de conscience. Mais derrière cette victoire, il y a de 1906 à 1971 quelque soixante années de luttes. Cet homme intransigeant, épris de liberté, de justice et de paix, dérangeait beaucoup : ses amis d’abord parce qu’il allait toujours au bout des actions qu’il engageait et leur demandait beaucoup, et surtout ceux qu’il dénonçait, ploutocrates, politiques et militaires. De son premier engagement où il refusa de marcher contre des grévistes, des actions pour faire libérer des anarchistes emprisonnés jusqu’à l’objection de conscience où il mit sa vie en danger, il passa son existence à lutter et connut souvent la prison.

Voir aussi : ''Le cours d’une vie'', Louis Lecoin et '' Louis Lecoin '', film biographique réalisé par  Jean Desville 

4- Pierre Mac Orlan : article de Bernard Clavel, Œuvres complètes, tome III, pages 953-957, Éditions Omnibus
Mardi 30 juin 1970 – Saint-Cyr-sur-Morin. Pierre Mac Orlan, il ne voulait plus voyager, l’âge sans doute et la mort de sa femme Margot, il voyageait dans sa tête ou on venait le visiter, François Villon par exemple et bien d’autres entraient chez lui un soir sans crier gare. Il a préféré s’en aller « par le petit chemin de la colline, celui qui contourne le village et gagne le cimetière sans troubler le va-et-vient des vivants ».

Dans les multiples talents qu’il avait, tout était lié, l’amitié avec la solitude, la chanson, la radio, le cinéma… et son œuvre variée, diverse, généreuse à ne pas pouvoir en faire le tour car « on ne fait pas le tour d’horizon de l’émotion ». Il possédait un immense pouvoir d’évocation, « quelques mots égrenés et c’est l’étoile qui s’allume au ciel de notre nuit » comme sa Marguerite de la nuit. Tout en préservant son unité, il est passé naturellement du poème au roman, de la chanson à l’essai et du reportage à la chronique.

5- Eugène Le Roy : article de Bernard Clavel
Œuvres complètes, tome III, pages 945-951, Éditions Omnibus

Son existence « est unique dans l’histoire des Lettres », nous assure Bernard Clavel. C’était un pur, « un homme bon mais d’une intransigeance absolue » qui dut le succès au hasard d’un sénateur lisant dans le train un feuilleton de son cru et s’en enthousiasma. Né en 1836 au château de Hautefort en Dordogne, il vécut l’enfance miséreuse de son héros Jacquou le croquant. Il connut une jeunesse difficile, cherchant sa voie, tour à tour employé à Paris, militaire participant aux campagnes d’Algérie et d’Italie puis employé percepteur dans son Périgord natal.
Il y mène une vie rangée avec femme et enfants jusqu’à la guerre de 1870 où il s’engage dans l’armée Chanzy. Un sentiment domine chez lui : l’injustice l’insupporte. Dès lors, il dénoncera les injustices dans des articles parfois violents et en payera le prix : révoqué puis réintégré en 1878, muté ensuite à Bordeaux. Dans son Périgord, il passe ses journées à écrire et, étonné, refuse d’aller à Paris, de recevoir un prix ou la légion d’honneur.

Consciencieux et méthodique, il rédige une notice sur l’ensemble de ses écrits, en particulier sur Le Moulin de Frau, le roman qui l’a fait connaître et bien sûr Jacquou le croquant. Il considère le roman comme une façon d’exprimer l’amour de sa terre périgourdine, de créer des personnages qui comme lui luttent contre les injustices et vivent aussi « ses plus beaux rêves ».

Mais le drame entre dans sa vie : il perd son fils aîné puis est victime d’une crise cardiaque. Á la fin de sa vie, il écrira à ses enfants de dédaigner la gloire, le pouvoir et les richesses car les véritables biens en ce monde sont la santé, l’indépendance et la paix du cœur. La mort, il ne la craint guère et s’y est déjà colleté à travers son roman L’ennemi de la mort et c’est avec sérénité qu’il l’attendra.
Courbet : autoportrait

Voir aussi :
- Eugène Le Roy et le Périgord, Christian Seignol, éditions P Fanlac, Périgueux
- Eugène Le Roy, romancier périgourdin, Gaston Guillaumie, Librairie Féret, Bordeaux
 
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